1] Pluie

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-« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre... »
-Qu'est ce que tu as dit?

Eve tourne son visage vers son amant, qu'elle croyait alors encore endormi et s'extirpant de ses pensées elle le regarde profondément une seconde avant qu'un sourire innocent vienne déguiser ses tourments et que d'une voix douce elle murmure:

-Rien... Rien du tout...

Elle approche son visage du siens, dépose un baiser sur sa joue puis se redresse, retire le drap de son corps nu et sort du lit. Elle allume la lumière de la table de chevet et aussitôt l'homme dont elle ne se souvient même plus du prénom articule amusé:

-« Dieu dit: Que la lumière soit. Et la lumière fut. »

Pour toute réponse elle sourit encore une fois et ramasse ses vêtements éparpillés sur le sol avant de se diriger vers la salle de bain.

-Tu pars déjà?
-Je suis désolée mais j'ai un rendez-vous. Il faut que je me dépêche sinon je vais être en retard. Je prends une douche et je pars.

Elle dit la vérité. Mais s'il s'était avéré qu'elle n'avait eu aucune obligation, elle aurait néanmoins eu le même discours et ce serait éclipsée sans demander son reste comme elle le fait le plus souvent avec ses coups d'un soir.

Mais cette réponse ne le satisfait pas. A peine entend-t-il l'eau se mettre à couler qu'il se lève à son tour et va la rejoindre.
Eve n'entend pas la porte s'ouvrir camouflé par la mélodie de l'eau qui tape contre la baignoire. L'homme pose une main sur l'épaule de la jeune femme qui est dos à lui et cette dernière sursaute avant de se retourner.
Ils se regardent quelques secondes, comme s'il lui demandait son autorisation pour la rejoindre dans la douche. Elle ne dit rien. Elle n'en a pas envie. Mais peut être que cela apaisera ses angoisses et ses tourments, et si ce n'est pas le cas alors ça lui fera toujours pensé à autre chose pendant quelques minutes...
D'un signe de tête elle lui fait donc comprendre que c'est oui.

Un baiser. Un caresse. Une étreinte.
Le corps de l'homme et de la femme se mélangent de nouveau sous cette pluie artificielle et chaude qui crée ce nuage de buée autour d'eux comme une enveloppe protectrice du monde extérieur.
Mais l'homme a beau prendre le plaisir à la pensée du quel il salivait, la femme, elle, se contente de dissimuler ses larmes entre les gouttes d'eau qui tombent sur son visage et ruissellent le long de ses joues.


Lorsqu'Eve sort de sa voiture garée pour aller à ce rendez-vous qu'elle aurait en réalité préféré manquer, il pleut.
Elle a la sensation de n'être jamais sortie de cette douche et que les larmes qu'elle a versé sans que personne ne sache continuent de glisser de ses yeux.

Elle est au pied de l'immeuble où elle doit se rendre mais ne bouge pas. Elle préfère rester sous la cascade qui trempe ses vêtements encore quelques instants, repoussant au maximum ce qui l'attend et la terrorise tant.
Elle sait que c'est pour son bien. Elle sait qu'elle doit affronter ça. S'affronter elle même. Mais justement: c'est d'elle-même qu'elle a peur. Elle n'arrive pas à se regarder en face depuis tant d'années... il est temps que cela change.
Alors dans une dernière respiration, Eve empoigne son courage à deux mains et va sonner à l'interphone au nom de la personne qu'elle va voir.
Quelques secondes passent. Des secondes qui lui paraissent interminables et durant lesquelles elle hésite une nouvelle fois à partir en courant. Mais une voix légèrement grésillante à cause du micro coupe alors ses pensées et doutes:

-Oui?
-C'est Eve De-La-Marquise.

La jeune femme déteste son nom de famille, parce que ça la rattache à beaucoup trop de choses qu'elle préférait oublier, mais elle s'évertue à toujours le prononcer de manière neutre, sans dégoût ou rejet.

-Je vous attendais. Septième droite.

EveWhere stories live. Discover now