Eve

61] Tellement

Le repas est silencieux.
Eve fixe son assiette, plongée dans ses pensées tandis que Barbara la regarde, mâchant avec lenteur. Cette dernière finit par briser ce silence insupportable:

-Tu ne manges pas?

Eve lève soudainement ses yeux, en sursautant presque:

-Quoi?!... Non... Non je n'ai pas très faim.
-Tu as mangé ce midi?

Après une hésitation Eve accepte de dire la vérité en répondant par la négative d'un hochement de tête.
Barbara soupire:

-Il faut que tu manges. Tu es enceinte et...

Eve se lève brusquement, lâchant sa fourchette dans son assiette dans un bruit fracassant et se met à hurler sans pouvoir se contrôler ni empêcher les tordants de larmes qui coulent soudainement de ses yeux:

-JE SAIS! JE SAIS QUE JE SUIS ENCEINTE! ALORS POURQUOI LE DIS TU PERPÉTUELLEMENT?! POURQUOI ME TORTURES-TU ENCORE ET TOUJOURS?!

Un mois entier. Et c'est la première fois que Barbara la voit dans cet état. Depuis quatre semaines elle ne disait rien, gardait tout, se taisait, sans laisser la moindre émotion paraître que son visage...
Et enfin. Enfin tout éclate, tout sort!

Barbara se lève, à la fois bouche bée, plus inquiète et paradoxalement plus soulagée que jamais.
Eve n'est pas morte. Bien sûr que non. Elle est toujours vivante, bien vivante, et cette réaction vient de le prouver.
Alors qu'elle a le visage caché entre ses mains, ses larmes glissant entre ses doigts pour s'écraser au sol, Barbara s'approche et vient doucement la serrer entre ses bras. Eve se laisse faire, sans bouger, continuant à pleurer. Les deux femmes ne bougent plus, ne parlent plus, respirent à peine et seul le bruit des sanglots étouffés d'Eve brise le silence.
Elles restent ainsi de longues minutes, et peu à peu les larmes s'épuisent et les sanglots se calment.

Finalement, elles finissent par se séparer juste suffisamment l'une de l'autre pour se regarder les yeux dans les yeux et Eve lâche doucement, essayant ses yeux humides et gonflés:

-Excuse moi de t'avoir parlé comme ça...

Barbara sourit sincèrement:

-Ce n'est rien ne t'en fais pas.

Eve lui sourit en retour et après un si tant encore sans bruit à se regarder elle s'approche de Barbara pour venir délicatement poser un baiser sur ses lèvres. Ce n'est pas un baiser sauvage, agressif ni emplie de luxure. Ces lèvres sont calmes, douces, reconnaissantes et apaisées. Le genre de baiser dont elles avaient tellement besoin toutes les deux.
Depuis combien de temps ne s'étaient elles pas embrassées?...

-Barbara... je t'aime. Je t'aime tellement si tu savais...

C'est au tour de Barbara de sentir les larmes lui monter aux yeux. Elle avait tant besoin d'être rassurée sur ce point... tellement.

-Moi aussi je t'aime.

Elles s'étreignent une nouvelle fois puis lorsqu'elles se lâchent Eve dit calmement:

-J'ai réfléchi et je crois...

Elle se racle la gorge, essaye de paraître sûre d'elle:

-Si rien ne marche, si rien ne me permet d'aller mieux malgré tout ce que nous avons essayé alors il n'y a plus qu'un moyen: arracher le mal à la racine. Barbara, je vais retourner dans le village de mon enfance...