5] Lit

6.5K 657 10
                                    



Eve est allongée sur son lit, la tête posée là où souvent normalement être ses pieds et les jambes levées contre le mur. Son corps forme un angle droit et elle fixe le plafond d'un regard vide. Il fait nuit et la lumière de la lune perce à travers sa fenêtre. La pluie ne s'est toujours pas arrêtée et les gouttes glissent contre la vitre, formant des ombres mouvantes sur les murs et sur le visage de la jeune femme. Elle tient dans sa main son portable collé contre son oreille qui sonne encore un nouvelle fois dans le vide.
Elle sait parfaitement qu'il ne répondra pas, que ses appels sont inutiles et dans le vent, mais elle aime écouter la voix de son répondeur, et au fond, espère toujours qu'il finira par décrocher...
Elle finit par lâcher son téléphone sur le matelas et ferme les paupières pour laisser des larmes muettes couler le long de ses tempes.

Eve ne s'est pas remise de la séance écourtée chez cette psychologue. Elle savait que tôt ou tard la question de son enfance et de sa famille finirait par arriver, mais elle pensait peut être pouvoir l'affronter. Au lieu de ça elle a préféré fuir, comme elle l'a fait toute sa vie.

Soudain, la sonnerie de son portable lui fait rouvrir les yeux en sursaut. Elle le reprend dans sa main, regarde l'écran et y lit « B. David ».
Sans doute cette dernière (qu'elle croyait être un homme au moment où elle a enregistré ce contact) ne peut supporter de rester sur un échec. Peut-etre a t'elle un besoin absolu de savoir la vie des gens. Peut-être est-elle simplement très investie dans son métier. Peut-être a t'elle uniquement besoin d'argent. Peut-être s'est-elle trompée de numéro.
Eve se dit que pour choisir cette profession il faut soit n'avoir réellement aucun problème pour pouvoir écouter ceux des autres, soit au contraire en avoir tellement que c'est se rassurer de savoir qu'ils ne sont pas seuls à avoir une vie lamentable.

Elle laisse sonner et comme elle s'y attendait un message vocal est laissé. Elle l'écoute:

-« Bonsoir Eve, c'est Barbara David. Je suis désolée de ce qu'il s'est passé aujourd'hui mais j'aimerai que nous poursuivons notre séance. Comme vous l'avez dit, c'est peut être le seul moyen que vous avez pour continuer de vivre. Personne n'a dit que ce serait facile... Rappelez moi. »

La jeune femme repose son portable sur le drap, se tourne sur le côté face à la fenêtre et replie ses jambes sur elle même. Elle regarde un instant le ciel noir troublé par la pluie et entrouvre la bouche pour se parler à elle même:

Dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit ». Mais aucune lumière ne peut faire fuir les ténèbres. Les miennes seront toujours là. Toujours là...

Elle ferme les paupières. S'endort presque aussitôt.



Le frottement contre l'intérieur de ses cuisses la fait frémir. Le poids de son corps sur le siens l'essouffle davantage. Les doigts enfoncés dans sa chair la fait se cambrer. Ce sexe gorgé de sang en elle la fait se sentir vivante.

C'est le seul moyen qu'elle a trouvé pour oublier. Oublier le temps de ces instants. Parce qu'après tout, c'est toujours mieux que de ne pas oublier du tout...

Eve a la tête penchée en arrière, la bouche entrouverte et les jambes enroulées autour de ce corps chaud. Elle a oublié le prénom de cet inconnu, peut être même ne lui a t'il jamais dit, elle ne sait plus et s'en fiche totalement.
Elle sent son souffle saccadé dans le creux de son oreille, lui murmurant des mots crus, et puis soudain:

-...pécheresse...

Eve se crispe aussitôt, ne comprenant pas.

-Qu...quoi?!
-Pécheresse!

Elle repousse aussitôt suffisamment l'homme pour voir son visage et demander une explication à ce mot, mais lorsqu'elle voit sa face une terreur absolue s'empare d'elle.
Elle connaît cet homme. Elle ne le connaît que trop bien. C'est celui qui hante sa vie depuis toujours.

Elle se met à gesticuler et à le repousser en criant mais il a largement le dessus sur elle et continue de crier ce même mot encore et encore:

-Pécheresse! Pécheresse! PÉCHERESSE!

Le hurlement qu'elle pousse alors est si strident et empli d'une peur viscérale que les fantômes eux même en sont glacés d'effroi.
Eve ouvre les paupières et se redresse sur son lit en poursuivant le cri assourdissant de son cauchemar jusqu'à ce qu'elle comprenne que ce n'était rien d'autre qu'un mirage.

Elle se lève, tremblante et trempée de sueur et attrape sa bouteille d'eau pour en boire l'intégralité du contenu pour essayer de se calmer.
Il fait jour. Elle fait courir ses yeux dans la pièce, totalement perdue, et son regard s'arrête sur son téléphone toujours posé sur son matelas.
Elle hésite. Elle hésite longtemps, mais finit par le saisir et cette fois déterminée, rappelle Barbara David.

EveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant