22] Sanglots

4K 548 14
                                    



Lorsqu'Eve De-La-Marquise était entrée la première fois dans son cabinet, Barbara David avait immédiatement vu les fantômes qui la hantaient sans se douter du niveau d'horreur que cette jeune femme avait du vivre.
Mais ce qui l'avait frappée par dessus tout, bien plus que la peur et l'angoisse marquée sur ses traits, ça a été cette tristesse. Une tristesse plus profonde et intense que toutes celles qu'elle avait ou apercevoir dans son métier, et pourtant Dieu sait qu'elle en avait vu...

Barbara n'arrivait pas à comprendre pourquoi cette tristesse, cet abattement ci était plus marqué que les autres.
Mais maintenant, en voyant Eve fondre en sanglots comme si elle redevenait cette petite fille torturée dans ce sous-sol, Barbara comprend. Elle réalise que si c'était si incrusté en elle, c'est parce que ça n'était jamais sorti.

Eve avait beau verser des larmes, elles étaient toujours silencieuses, de simples gouttes d'eau salée sur des joues. Rien ne sortait. Tout est resté piégé en elle pendant plus de dix ans... Et ça l'a bouffée de l'intérieur pendant tout ce temps, ça l'a rongée, petit à petit, chaque jour, chaque minute, chaque seconde un peu plus.
Mais enfin c'est en dehors. Cette noirceur est sortie, et même s'il va être dur de faire face à ce cauchemar, il est toujours plus simple de combattre un ennemi qui est en face de soit qu'à l'intérieur de ses entrailles.

Barbara est sidérée, face à cette jeune femme recroquevillée sur elle même, incapable de s'arrêter de pleurer.
Mais enfin, la psychologue reprend possession d'elle même et se lève lentement de son fauteuil pour aller s'assoir sur le canapé à côté de sa patiente, gardant néanmoins une distance professionnelle.

-Je sais parfaitement que vous avez résisté, que vous vous êtes battue Eve. Mais ne pensez pas qu'il a tout pris, ne pensez pas qu'il n'a laissé que du désespoir, car vous ne seriez pas ici sinon, vous ne seriez pas en train de pleurer... C'est justement l'espoir qui vous a maintenue et guidée jusqu'à cet instant. L'instant où vous avez enfin décidé de vous libérer...

Eve essaye de réprimer ses sanglots, d'essuyer ses larmes qui sont aussitôt remplacées par de nouvelles. Elle relève doucement son visage pour venir le plonger dans celui de Barbara.

-Je n'ai pas la sensation d'être libre vous savez... J'ai juste la sensation...

Elle baisse ses yeux et se tient le ventre, cherchant un mot s'approchant de ce qu'elle peut bien ressentir.

-J'ai la sensation d'avoir été déchirée de l'intérieur, qu'on a ouvert mon ventre et poignardé mes entrailles.
-C'est parce qu'il fallait que ça sorte. Que ça sorte enfin. C'était resté si longtemps piégé en vous Eve...

La jeune femme renifle encore, un parvenant enfin à reprendre une respiration plus calme et à faire plus ou moins cesser ses sanglots.

-Est-ce que vous auriez... des mouchoirs s'il vous plaît?
-Oh oui bien sûr!

Barbara se lève aussitôt et lui apporte une boîte neuve. Eve se mouche, essuie ses yeux irrités et rougis et au bout de quelques instants de silence finit par entrouvrir les lèvres sans regarder sa psychologue:

-Comment faites vous?
-Comment je fais quoi?
-Pour supporter les vies et histoires des gens? Je n'arrive déjà pas à supporter la mienne...

Barbara retourne s'assoir sur son fauteuil, reprend son stylo et vient jouer avec en le triturant entre ses doigts.

-Je ne sais pas. J'ai toujours voulu faire ce métier, d'aussi loin que je me souvienne...
-Excusez moi pour ce que je vais dire mais... je crois qu'il faut être une putain de malade pour vouloir toute sa vie écouter les problèmes des gens...

Barbara sourit et prend son carnet.

-A mon tour de m'excusez mais... je ne me rappelle pas vous avoir jamais dit que j'étais une personne saine d'esprit je me trompe?

Eve relève les yeux vers elle et en voyant son petit sourire taquin éclate de rire, des larmes encore gisantes sur ses joues.

EveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant