Eve

36] Soucieuse

Lorsque Barbara ouvre la porte, Eve est sur son pallier pour son rendez-vous. Elles se serrent la main en échangeant un sourire et elle la laisse rentrer avant de refermer la porte derrière elle. Elles vont dans la pièce habituelle pour les séances et s'assoient l'une en face de l'autre.
Eve sait déjà que sa psychologue va croiser ses jambes tout en prenant le cahier et le stylo poses sur la petite table à côté de son fauteuil. Elle va feuilleter rapidement les pages pour retrouver où elle en était puis va appuyer sur l'extrémité de son stylo avec son pouce pour faire sortir la mine avant de le poser au centre des pages et de relever ses yeux vers sa patiente.

Et évidemment, Barbara fait ces mouvements au millimètre près comme l'avait prédit Eve qui observe ses mains et ses gestes avec attention mais paradoxalement comme si elle était ailleurs.

-Alors... comment s'est passé cette semaine depuis la dernière séance Eve?

La voix de Barbara sort aussitôt la jeune femme de ses pensées qui relève ses yeux une seconde pour croiser son regard avant de se mettre à tripoter du bout des doigts un fil sortant de l'accoudoir du canapé où elle est assise.

-Et bien... en fait j'ai eu vingt-neuf mercredi.
-Oh c'est vrai?! Joyeux anniversaire alors, avec du retard!

Eve sourit tristement.

-Oui... merci.
-Je vous sens triste aujourd'hui. Qu'avez vous fait depuis la dernière fois? Je vous avais dit vous laisser vous même aimer à nouveau et de ne pas brider votre amour. Vous n'avez pas réussi? Vous savez c'est normal, il ne faut pas vous en inquiéter, cela prendra surmener du t...

Eve la coupe brusquement:

-Au contraire. Je vous ai écouté.
-Et?...
-Et bien... disons que je ne m'attendais pas vraiment à ça...
-Comment ça?
-Je suis allé voir Hatem juste après notre dernière séance. Et je lui ai dit la vérité: que je voulais me laisser l'aimer.

Barbara est fébrile. Elle est secrètement terrifiée à l'idée d'avoir dit quelque chose à Eve qui aurait pu lui briser davantage le cœur.
La jeune femme n'est pas loquace et Barbara doit presque lui arracher de la bouche chaque mot.

-Et que s'est-il passé?

L'a-t-il rejetée? S'est-il moqué d'elle? A-t-il été cruel dans ses mots... dans ses gestes?!
La psychologue ne tient plus de ne pas savoir. Elle aimerait se gifler pouf avoir dit une telle chose à sa patiente la semaine dernière si cela l'a conduite à la tristesse.

-Nous avons fait l'amour.

Un soulagement incommensurable traverse Barbara, même si bien sûr elle ne laisse rien paraître d'aucune façon.
Néanmoins si Eve est dans cet état c'est qu'il s'est forcément passe quelque chose après...

-Et?...
-Nous avons parlé. De nos passés. Je lui ai raconté le miens et lui le siens, ça nous a rapproché, ça nous a mêlé faire rire aussi, beaucoup rire. Et nous avons refait l'amour. En fait... nous avons passé le week-end entier à faire l'amour. C'est à peine si nous dormions ou mangeons. Même quand nous nous douchions ça finissait toujours...

Eve se racle la gorge, s'empêchant d'aller plus loin:

-Bref... vous avez compris.
-Oui je vois. Mais dans ce cas, pourquoi avez vous l'air si soucieuse?
-Comme je vous l'ai dit, mercredi c'était mon anniversaire, et comme une imbécile je lui ai dit quelques jours avant. Je ne sais même pas pourquoi d'ailleurs. Je ne fête jamais mon anniversaire, je déteste ça. Il travaillait ce jour là alors je suis retournée dans mon appartement et le soir je suis retournée le voir, habiter dans le même immeuble à ses avantages... Et évidemment il m'avait fait une surprise. Il avait cuisiné, une sorte de dîner au chandelles. Tout ce qu'il y a de plus romantiques. Et il m'a offert des livres, des romans d'amour plus précisément, ça m'a fait rire. Il m'a dit qu'il savait parfaitement que s'il m'avait offert un bijou j'aurai trouvé ça beaucoup trop cliché et précipité et il avait raison, heureusement qu'il m'a épargné ça. Mais en réalité, même tout le reste c'était trop. J'ai trouvé ça adorable vous savez. Vraiment! Je ne veux pas du tout paraître ingrate ou quoi. Mais... mais j'ai réalisé quelque chose ce soir là.
-Qu'avez vous réalisé?
-J'ai compris que je ne l'aimais pas. Pourtant je l'ai cru au début, vraiment. Je voulais nous laisser une chance. Et Hatem est tellement parfait... comment ne pas l'aimer?! Mais, même si je préférerai qu'il en soit autrement j'en suis certaine maintenant: je ne suis pas amoureuse de lui. Et je ne le serai jamais...