CHAPITRE 1 - LA TERRE

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CHAPITRE 1 : LA TERRE


Les murmures mènent généralement à des secrets. Un simple chuchotement entre deux personnes réveille notre curiosité et nous tendons l'oreille presque instantanément. Et ici, sur l'Arche, les secrets sont aussi précieux que n'importe quel cristal. C'est un moyen de communication primordiale qui a conduit plusieurs fois à des grèves dans plusieurs stations de l'Arche contre une loi qui risquait d'être établie par le Conseil, notre gouvernement républicain.

Et je suis toujours la première à entendre les secrets. Les deux gardes qui surveillent ma porte sont assez haut placés pour surveiller les grandes réunions du Conseil. Alors, les murmures commencent devant ma porte et finissent à la douzième station de l'Arche.

Ma porte est blindée, je ne peux ni entendre ni voir le monde extérieur. Mais la petite plaque qui permet à l'un des gardes de glisser mon repas est mal calibrée. Il suffit que j'y glisse discrètement un bout de tissu en boule pour que la plaque reste ouverte, et à moi les secrets. Certains sont intéressants, d'autres scandaleux et d'autres sont tellement ridicules qu'ils m'arrachent des sourires. Mais ce matin, il n'était ni scandaleux, ni drôle. En rigolant et avec une légèreté incandescente, l'un des deux gardes, surnommé Ténor à cause de sa voix aiguë, a déclaré mon arrêt de mort.

"- Tu as entendu hier soir ? Ils veulent envoyer cent adolescents prisonniers sur Terre, il toqua avec un petit rythme à ma porte, elle y compris."

"Elle y compris."

Envoyer à la mort cent adolescents, moi y compris, c'est le nouveau secret du Conseil. Ce matin, j'étais terrorisée. Je m'étais jetée sur le lit, avais plaqué mes genoux contre ma poitrine et m'étais perdue dans des pensées sombres. Maintenant, je réalise que cette expédition est peut-être mon ticket de sortie. Après tout, dans deux mois, j'aurais atteint ma majorité ; dans deux mois, j'aurais été exécutée. Je n'ai rien à perdre et personne ne me pleura ici.

Je déplie mes genoux et m'étire avant d'avaler mon petit déjeuner maintenant froid. Je ne sais pas quand est le départ, alors autant prendre des forces et de l'énergie rapidement. En avalant mon omelette, je réfléchis aux problèmes qui nous attendent sur Terre. Le premier sera la réaction de notre corps devant les radiations. Même avec une décennie de retomber, l'air est encore radioactive. Les scientifiques de la station 7 ont déclaré que l'air était respirable dans soixante-dix pour cents de leur simulation. Donc on a trente pour cents de chance de crever dès que la porte de la navette sera ouverte. Ensuite, la nourriture. Les mêmes scientifiques affirment que la faune est toujours en vie au vu des immenses forêts que nous apercevons à la surface de la Terre. D'après eux, sans faune, pas de flore et l'inverse est aussi vrai. Donc on a une chance sur deux de mourir de faim.

Je m'arrête de penser en avalant ma dernière bouchée. Je soupire d'avance et comprends maintenant le rôle des cours de survie imposés par le Conseil. C'était une mise en garde et nous n'avons rien vu. Je regrette de ne pas avoir été aussi attentive que je l'aurais pu être.

J'attrape un livre dans mon bac où repose mes tristes affaires et m'assois près de la fenêtre. J'ai probablement hérité de la cellule la plus lumineuse. Étant la dernière de la rangée, je n'ai pas d'autres cellules à ma gauche, alors ils ont installé une immense vitre qui donne sur le vide sidéral qui nous entoure. À certains cycles, je peux parfois deviner la forme lointaine de Mars au dessus de la Terre. Je m'assois en tailleur sur le rebord et colle ma tête contre la vitre. Mes yeux traversent le papier et mes doigts tournent les pages. Le silence quotidien de ma cellule m'apporte un certain réconfort et je suis - presque - déçue de devoir la quitter.

Après ce que je dirais une heure, ma porte émet un bruit de validation. Je sors brutalement d'Italie et reviens à ma petite cellule. Je vois du coin de l'œil une petite silhouette entourée de deux autres plus imposantes rentrer. Je prends mon temps. Je ferme mon roman et le pose sur un autre, en haut d'une tour de livres qui m'arrivent à l'épaule. Je soupire et me tourne enfin vers les trois silhouettes. Ténor et Pipelette me font face ainsi qu'entre eux Marcus Kane. Je reconnais les yeux doux qu'il me faisait enfant. Ténor pose une mallette métallique contenant une dizaine de bracelets en fer sur mon petit lit dont les draps n'ont jamais été mis correctement. Je m'excuse presque d'un regard auprès d'eux. Ma curiosité me pousse à fixer les bracelets mais mon père se retrouve juste en face de moi. Je n'ai jamais été aussi proche de quelqu'un depuis des années. Un pas de plus et nos bras se touchent. Il tend sa main vers mon poignet. Son geste me surprend et je tente de remettre de la distance.

𝐀𝐫𝐭𝐞́𝐦𝐢𝐬¹Hikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin