Chapitre 8.1

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              Lucius m'avait invitée. Je ne pouvais refuser d'y aller. Dire non à un chef de meute, mieux valait ne pas y songer. Le plus étrange restait le fait que je sois la seule à être conviée.
En apprenant où je me rendais, Arenht s'était de suite renfermé. Il n'avait toujours pas digéré sa rencontre avec Sohren et il se doutait tout autant que moi du véritable motif de ce repas. Le fils n'avait pas hésité à en passer par l'intermédiaire de son père pour m'obliger à venir.

J'allais voir mon homme avant de partir. Il se trouvait dans la salle de détente, debout devant la baie vitrée. Sa silhouette, tout de sombre vêtue, se découpait nettement et cette vision me fit battre le cœur plus vite. Chaque fois, je ne pouvais m'empêcher de le dévorer du regard. Je savais qu'il avait déjà ressenti ma présence. Comme à regret il s'arracha à sa contemplation et se tourna vers moi.


— Je vais y aller. Si je pouvais, je resterais ici, avec toi.

— Je me doute bien.

— Et tu vois, je suis assortie à toi.

Pour l'occasion, j'avais choisi les vêtements les plus neutres possible : un jean noir et un pull bleu marine, rien que du classique.

— Tu crois que ça va suffire à ce que je te laisse partir l'esprit tranquille ?
Glissant mes bras autour de sa taille, j'appuyais ma tête contre son torse.

— Après, si tu me séquestres, j'aurai une excuse, lui suggérais-je taquine.

— Ne me tente pas, gronda-t-il gentiment. Je n'ai pas envie de créer un incident diplomatique. Declan me tuerait.

Il m'enlaça à son tour, déposant un baiser brûlant sur mon front.

— Allez, vas-y et dépêche-toi de revenir.

— Oui, murmurais-je en me détachant de l'abri de ses bras.

Je me rendis au bureau du chef. Je supposais qu'il allait me conduire là-bas. Celui-ci ne tarda pas à me détromper.

— Il a envoyé une voiture pour toi. Elle t'attend déjà devant.

— Tu sais ce qu'il me veut ?

— Il n'a pas précisé. Cela doit concerner ton statut d'alpha. Ne t'inquiète pas, tu t'en sortiras très bien. Reste naturelle.

Je n'avais pas l'intention de faire autrement.

— Qu'on en finisse alors, soupirais-je. À tout à l'heure.

Ce ne fut pas le maître des lieux qui m'accueillit sur les marches du perron, mais bien entendu son fils. À son sourire satisfait, je pus confirmer mes suppositions. Je m'avançais vers l'entrée en l'ignorant ostensiblement. J'allais participer à ce repas et ne pas rester une minute de plus que nécessaire.

Faisant mine de ne pas avoir noté mon attitude, il m'emboîta le pas à l'intérieur. Je fus bien obligée de le laisser me montrer le chemin, ne sachant pas où aller. Avec l'absence du chef de Clan, je n'avais d'autre choix que de m'en remettre à son fils.


— Bonjour tout de même, fit-il remarquer au passage.

— Oui, bonjour, répondis-je.

Je pouvais au moins être polie.

— Content de te revoir.

— En même temps, tu as tout fait pour.

— J'aurais bien nié cette accusation, mais je suis bien l'instigateur de cette invitation. Mon père assistera au dîner et te proposera des sujets de conversations intéressants, donc pas de quoi bouder.

— Es-tu toujours aussi sûr de toi ? m'exclamais-je en lui faisant face.

— Je serai tenté de répondre par l'affirmative. Je suis bourré de talents et de qualités.

— En tout cas, la modestie n'en fait visiblement pas partie.

Il sourit avec insolence avant de hausser les épaules.

— Allons dans la salle de réception, mon père ne va pas tarder à arriver. Il est d'une ponctualité maladive.

Je le suivis à regret, traversant un couloir aussi luxueux que les pièces elles-mêmes. Je me félicitais encore de n'être pas tombée dans cette meute. Ce côté ostentatoire ne m'attirait pas du tout. Au contraire, il me mettait mal à l'aise et donnait envie de sortir respirer l'air libre, loin de cette atmosphère feutrée et étouffante. Les lieux paraissaient déserts. En même temps, le Manoir se démarquait par sa superficie. Nous nous trouvions sûrement dans une aile réservée au chef et à sa famille. Je me demandais ce que cela devait être de passer son enfance dans un tel endroit. Malgré moi, je plaignais le jeune homme qui avait vécu dans un environnement aussi dénué de chaleur. Cela pouvait expliquer en partie son caractère actuel. Un coup d'œil vers lui m'apprit qu'il m'observait à son tour. Je fis mine de regarder avec attention la galerie de portraits peints accrochés aux murs. Là où d'autres exposeraient des photos, ici des tableaux admirablement exécutés les remplaçaient. L'un d'eux retint mon intérêt. Une famille visiblement. Un homme et une femme, jeunes, probablement la vingtaine, posaient souriants, un enfant dans leurs bras. Ils avaient l'air heureux. Ce portrait m'émut, remuant mon propre passé. Ma mère et mon père avaient-ils ressemblé à cela à cet âge ? Je détachais mes yeux de cette image d'un bonheur que je n'avais pas connu avec mes vrais parents, m'éclaircissant la gorge tout en baissant la tête.

Je le sentis me dévisager, mais il s'abstint de toute remarque, continuant sa marche vers le fond du couloir. La curiosité me dévorait, mais je n'osais poser de questions indiscrètes. Pourtant je finis par céder.
— Les portraits sont nombreux ici. Ce sont tous des membres de ta famille ?
Il me fixa un moment sans rien dire. Mon intérêt soudain devait lui paraître étrange après l'avoir battu froid depuis mon arrivée.

— Oui quasiment. Ce sont les seuls à avoir le privilège d'orner les murs du Manoir.

Refoulant l'émotion que j'avais ressentie il y a quelques secondes, je me lançais.

— Et ce portrait avec l'enfant ?

Sa mâchoire se crispa légèrement. Il laissa son regard errer vers le cadre en question avant de me répondre.
— Mes parents. Mes parents et moi.
Sa voix avait perdu de sa morgue. Je décelais comme une fêlure dans sa carapace d'arrogant Alpha.
— Elle est morte, lâcha-t-il.

Il ne quittait pas la peinture des yeux, comme s'il était replongé dans le passé. Je déglutis péniblement ne sachant quoi dire.

— On a ça en commun, n'est-ce pas ?

C'était plus une constatation qu'une question. Il vrilla son regard au mien. Devant moi se tenait un autre Sohren, dont la sensibilité difficilement contenue m'émouvait. Une porte s'ouvrit au bout du couloir, nous prenant au dépourvu. La haute silhouette de Lucius se découpa derrière celle-ci. Sohren se ressaisit de suite et m'emmena vers son père. Apparemment, on ne dérogeait pas à la ponctualité.

Protège-moi  - T.2: L'Alpha [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant