Chapitre 31.3

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 Un autre mail. Je la vis fixer l'écran, son visage pâlissant à vue d'œil. La main posée sur la souris, elle hésitait, la flèche tremblotant près du message. Elle me lança un regard entendu, répondant à ma question muette. Oui, il venait bien de son frère. Nous devions nous attendre à des nouvelles au vu des derniers évènements. Je m'approchais jusqu'à sa chaise et posais ma main sur son épaule. Je voulais lui montrer que j'étais à ses côtés. Nous affrontions la menace ensemble. Elle prit une profonde inspiration avant de cliquer sur l'icône. Le mail s'ouvrit. Cette fois, pas de vidéo. J'en soupirais presque de soulagement. J'avais eu ma dose de vision d'horreur pour un bon bout de temps. Pour autant, au fur et à mesure que je découvrais la teneur du message en même temps que Tahlia, le soulagement fit rapidement place à un sentiment qui m'était devenu familier ces derniers jours. Si le précédent mail ne laissait aucun doute sur ces intentions envers notre espèce, cette fois-ci, la déclaration de guerre était explicitement dirigée contre nous. Mes yeux s'agrandirent d'effroi au rythme de ma lecture. « Mon dieu », soufflais-je.

La jeune femme quitta l'écran des yeux et les plongea dans les miens. La même peur s'y reflétait. Nous savions de quoi il était capable, elle plus que moi. Et il nous avait désignés comme ses prochaines cibles. L'attaque que nous avions menée contre l'une de leur plus grande base paraissait avoir été la goutte d'eau de trop. Pour sauver notre peau, notre fuite s'était accompagnée d'une traînée de cadavres. Il comptait les venger personnellement même si je me doutais du peu de valeur qu'il accordait à la vie de ses complices.

Declan fut de suite mis au courant. Ainsi, il nous avait laissé filer mais pour mieux nous torturer ensuite en fixant ses propres règles. Cela avait l'air de lui plaire de nous considérer comme des proies qu'il s'apprêtait à venir chasser. Nous en étions réduits à nous demander quand il frapperait, l'insécurité s'attachant à chacun de nos pas hors du Complexe. Notre chef nous conseilla de rester à l'intérieur pour minimiser les risques, mais notre première réaction, à Tahlia et moi fut de refuser de nous laisser enfermer. Nous étions des louves-garous après tout, pas de simples mortelles. En promettant de faire attention sur le trajet jusqu'à nos appartements, il n'insista pas.

Impossible de m'endormir. Je ne cessais de me retourner entre les draps, finissant par les rejeter hors du lit, ne supportant plus leur contact. L'horrible sentiment d'être épiée ne cessait de me perturber. Mes sens hyper-développés amplifiaient le moindre bruit pourtant habituel. Le grincement du plancher de l'appartement au-dessus, le grattement des branches contre la fenêtre, les pas traînants de promeneurs tardifs. A présent, tout ce que j'entendais résonnait de façon sinistre, comme l'annonce de la venue imminente d'un être froid et cruel venu pour exécuter sa sentence. J'allais finir par devenir dingue. Me redressant, je saisis maladroitement le verre d'eau sur la table de nuit et en avalais goulûment le contenu, essayant de faire partir le goût âcre qui s'attardait au fond de ma gorge. Malgré la mise en déroute de la plupart de nos ennemis quelques jours plus tôt, je n'arrivais pas à faire partir la peur viscérale ancrée en moi depuis l'ouverture du mail. Il viendrait pour nous, pour moi et sa sœur. Il l'avait clairement exprimé. Un prédateur tel que lui ne renoncerait pas avant d'avoir attrapé sa cible et j'étais justement l'une d'entre elle.

Je me levais, l'insomnie ayant apparemment décidé de me tenir compagnie toute la nuit. Si seulement Arenht n'était pas parti en mission spéciale... J'avais plus que jamais besoin de sa présence rassurante, mais cette fois-ci, je devais m'accommoder de son absence. Il ne servait à rien de l'inquiéter plus que ça. Ma main effleura le mur à la recherche de l'interrupteur mais j'interrompis soudain mon geste. Mon regard glissa vers les épais rideaux tirés devant les fenêtres. Je ne voulais pas risquer d'attirer l'attention sur mon appartement en laissant filtrer de la lumière. Autant peindre directement une cible et attendre le coup fatal. Armée de mon téléphone, je me dirigeais vers ma kitchenette et commençais à préparer le nécessaire pour une bonne tasse de thé. Habituellement, ce rituel aidait à me calmer. La faible luminosité émise par mon téléphone ne me dérangeait pas. Je connaissais chaque recoin de mes placards et ma vision de louve aidait. Seulement, rien n'allait ce soir, mes doigts tremblants peinaient à ouvrir le sachet et à remplir la théière. Avec un juron, j'abandonnais l'affaire. A présent, un filet de sueur glaciale courrait le long de mon épine dorsale, signe que je reconnaissais entre milles pour l'avoir subi plusieurs fois par le passé. Bientôt je ne serais plus qu'une pauvre chose recroquevillée sur le sol, incapable de réagir s'il se décidait à venir. Je devais sortir avant d'étouffer. Mon appartement ne constituait plus un refuge à cet instant précis. J'enfilais prestement un jean et des baskets, ne me préoccupant pas de mon haut de pyjama. Mon téléphone, les clés de la voiture que m'avait prêté Arenht et mes lames, j'étais parée. Heureusement qu'il avait eu l'idée de me donner quelques leçons avant de partir. Cela l'avait rassuré de savoir que j'avais ce moyen à disposition si le besoin s'en faisait sentir.

En descendant jusqu'au hall d'entrée, je me retins de me transformer pour arriver plus vite au véhicule. Le risque était trop grand de croiser le chemin d'un locataire aux habitudes nocturnes. Il n'était pas rare d'en entendre rentrer de soirées à des heures plus que matinales. C'est donc quatre à quatre que je dévalais les marches, tout en veillant à ne pas faire plus de bruits que nécessaire. Et s'il m'attendait en bas, ne cessais-je de penser la peur au ventre. Arrivée en bas, je scrutais les alentours. Personne. Un court instant je m'interrogeais sur le bien-fondé de ma destination. Je chassais vivement toutes interrogations de ma tête. Je n'avais pas d'autre idée de refuge. J'aviserais une fois sur place. Tout plutôt que de devenir folle entre mes quatre murs.

Protège-moi  - T.2: L'Alpha [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant