CHAPITRE 3

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Le lendemain est difficile pour tout le monde dans la maison. Mon père traine des pieds pour partir à son travail, ma mère va se coucher après sa nuit blanche et Jeanne se terre dans sa chambre, redoutant certainement la confrontation avec son ainée. Pour ma part, je suis l'ombre de moi-même. Une enveloppe charnelle qui déambule dans la cuisine sans but précis. Aucun appétit, seul un trou béant dans ma poitrine qui a élu domicile depuis ce fameux soir. Le café que j'ingurgite a pris le gout du carton, me laissant un gout amer dans la bouche, au point de me rendre nauséeuse.  J'ai vidé ma tête de toute question, préférant les analyser une à une, quand elles se confronteront à moi. J'avancerai, pas à pas, pour me sortir de cette impasse, qui de toute manière me laissera une marque indélébile imprimée sur le cœur. Les priorités du jour sont, ma sœur, et plus accessoirement, ma santé. Cette petite peste, de tout juste 16 ans, pointera son nez ici, un jour ou l'autre. Elle ne pourra pas se tapir éternellement dans sa chambre ! La faim la poussera à se présenter à moi.

Patiente, je l'attends de pieds ferment. 10H00, et madame daigne poindre le bout de son nez. Silencieuse et discrète, elle se prépare consciencieusement son petit déjeuner, sous mon regard inquisiteur. Elle recule l'inévitable en prenant le temps de mettre du lait dans son bol, des céréales dans son lait, du jus d'orange dans son verre, un dessus de table, une cuillère et une serviette. Le compte est bon, elle a tout, plus rien ne la sépare de mes remontrances. Elle sait, elle a peur, elle cherche partout ce qui pourrait remettre à plus tard ce qui lui pend au nez. Toujours patiente, je la scrute de mon regard le plus dur. Enfin, elle prend une grande inspiration, puis s'assoit droite comme un I, le visage plongé sur son bol de lait, ses deux mains à plat sur la table.

- Bonjour Jeanne, dis-je sur un ton tranchant.

- Victoria, je suis désolée.

« Décidément, le mot désolé m'a été dit un milliard de fois en deux jours »

- Désolée, c'est tout ? Est-ce que tu sais au moins ce que tu as provoqué en jouant à la femme fatale ?!

Ais-je vraiment envie de lui annoncer la vérité ? C'est une jeune fille innocente et insouciante, je ne peux pas lui infliger un tel fardeau. Vivre avec, je peux le faire, mais elle, peut-être pas !

- Non, mais à voir ta tête, je suppose que ça ne doit pas être joli, joli.

- Non, je confirme ! Je te passe les détails, car tu es jeune, mais sache que ce weekend a été le plus dur et le plus long que j'ai connu, tout ça à cause de ta bêtise ! J'ai eu la peur de ma vie. Punaise Jeanne, il aurait pu t'arriver des bricoles.

- Oui je sais, Jared me l'a bien fait comprendre. Crois-moi, je ne recommencerai plus une telle bêtise.

Je me demande bien ce que Jared lui a fait comme remontrances, elle a l'air terrifiée à la limite de pleurer.

- Jeanne, si les parents apprenaient quelles fréquentations tu as, ils en deviendraient fous et t'enfermeraient à vie.

« Oui, et c'est la même chose pour toi ma vieille ! »

- Par pitié ne leur dis rien, je ne recommencerai plus, j'ai compris mon erreur, promis Victoria.

- Très bien, tu m'as promis Jeanne, ne me fais plus un coup pareil, j'ai eu la peur de ma vie et tout mon monde s'est écroulé autour de moi.

- A ce point ? 

Cette fois ci elle pleure, moi je me concentre pour ne pas pleurer aussi.

- Oui, à ce point ! dis-je dans un sanglot à peine dissimulé. Bon, n'en parlons plus, maintenant ça appartient au passé. Tout, appartient au passé !

- Et Sony, il a dit quoi ?

- Je viens de te le dire, tout appartient au passé à présent.

- Non Victoria ! Ne dis pas que par ma faute tout est fini ?

- Jeanne, ce n'est pas grave, laisse tomber, ça m'a permis d'ouvrir les yeux sur certaines vérités.

Et voilà que la réalité me rattrape, ne me laissant plus que le choix d'éclater en sanglot. Tout est fini, tout a pris fin. Mes amis, mon amour. Celui pour qui je vouais un culte depuis deux mois, celui qui me faisait sourire, rire, parfois pleurer, mais surtout, celui qui faisait vivre mon cœur, comme jamais personne ne l'avait fait auparavant. J'ai mal à en crever. C'est si violant, si poignant, que je péris sous les yeux impuissants de ma petite sœur. Chagrinée de me voir ainsi, Jeanne saute de sa chaise pour me venir en aide et me prendre dans ses bras. Elle enveloppe ma tête de ses mains, pour poser mon visage sur son ventre. Elle me serre si fort, qu'elle déclenche une douleur vive derrière mon crâne. Je grimace en gémissant.

- Vicky, c'est quoi cette bosse ?

- Rien, je t'ai dit de laisser tomber.

- Non ! Montre-moi.

Abattue, je la laisse examiner la blessure qui signera cette nuit épouvantable. Ma sœur reste pétrifiée par ce qu'elle découvre, avant de se laisser choir sur la chaise à côté de moi. Son visage est trempé par la honte de sa bêtise et sa lèvre inferieur tremble, comme quand elle avait huit ans et qu'elle prenait vraiment conscience de ses erreurs.

- Ça aussi, c'est de ma faute Victoria ?

- Ce sont des concours de circonstances, un dommage collatéral, une erreur en entrainant une autre, voilà tout !

- C'est Sony qui t'a fait ça ?

- NON ! Il ne me toucherait jamais, tu es folle.

- Alors Jared ?

- Non plus, ce n'est personne. N'en parlons plus, tu veux ?! Je te demande juste de rester tranquille à l'avenir, car je ne sais pas si je pourrai endurer encore une fois ce que je viens de vivre.

La peur de ce qui m'est arrivée se peint sur son visage. Elle prend conscience de sa stupidité et des bavures qui en découlent. Je ne la rassure pas, préférant qu'elle apprenne de sa bêtise, pour ne plus jamais recommencer.  L'adolescent est un être vivant qui aime pousser à l'extrême ses expériences, pour vivre des aventures inoubliables, sans voir le mal alentour, sans se soucier de l'après. Il vit tout simplement, dans un monde qui s'apparente à celui d'Alice au pays des merveilles. Je ne juge pas. Devenue une jeune femme depuis peu, j'ai fait exactement la même erreur. Mais à mon âge, le diagnostic est conséquent. Enfant, quand tu tombes, on te rattrape. Adolescent, quand tu tombes, on te prévient. Adulte, quand tu tombes, tu tombes !

- Avec Sony ça ne peut pas s'arranger ?

- Non et je ne le veux pas ! La vie est comme elle est, et c'est tant mieux ! N'en parle pas aux parents. Maman n'a pas besoin de se faire du souci, elle en a assez comme ça avec son nouveau travail.

- Ok, promis.

Et c'est ainsi qu'on se serre dans les bras, en concluant le pacte du silence.

Santana partie 2Where stories live. Discover now