CHAPITRE 5

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J'ai réglé ma dernière semaine de vacances comme du papier à musique, afin d'éviter les vides dans mon emploi du temps. Une stratégie compliquée qui m'occupe l'esprit pour ne plus penser à Sony et m'effondrer. Malheureusement, je ne comble pas tous les trous de mes journées et encore moins celui de ma poitrine.  La vie n'a plus de saveur, altérant tous mes goûts. L'eau est âpre, la nourriture est fade, et l'air que je respire agit comme de l'acide dans mes poumons. Même les bruits environnants qui bercent mon quotidien, m'irritent les oreilles. Le reflet que me renvoie le miroir m'insupporte. Tout m'indiffère, tout m'exaspère !
Il pleut averse dans mon cœur, m'inondant jusqu'aux yeux. Je ne pensais pas ressentir une telle tristesse un jour. Comme un jouet, je remonte la clé chaque jour, pour faire marcher un mécanisme sans vie. Je me lève, déjeune, passe sous la douche, m'habille, prends le bus jusqu'à l'hôpital, je visite Will et pleure sur le corps sans âme de Vincenzo. Je reprends le bus en sens inverse, retourne dans ma chambre pour souffrir en silence.  Quand je ne pleure pas dans ma chambre, je porte un masque, celui d'une jeune fille épanouie et souriante. Un rôle que j'ai du mal à tenir en présence d'autrui, mais quand je regarde le visage fatigué de ma mère, je trouve du courage pour poursuivre ces simagrées. 
Je me suis inscrite aux abonnés absences, filtrant tous mes appels et messages. Comment faire la conversation à qui que ce soit dans un tel état ?
Un deuil quel qui soit, doit s'endurer seule ! Si je pensais que mes journées étaient les plus dures, c'était sans compter sur mes nuits. Mes terreurs nocturnes qui étaient traumatisées par un vieux dessin animé d'enfance, se voient transformées par d'affreux rêves, proches de la réalité. Un cauchemar que je revis nuits après nuit, depuis cette fusillade. Je tiens une arme aussi lourde que du plomb. Mes mains sont recouvertes de sang, qui n'est pas le mien. L'odeur du canon qui vient de tirer, me brule les narines jusqu'à me faire saigner. Accroupie sur le sol, un poids me pèse sur les cuisses. Je baisse les yeux pour découvrir Sony, sans vie. Paniquée, je lâche l'arme pour saisir son visage. Je crie son nom dans l'espoir qu'il me revienne, qu'il m'entende, mais rien. Son t-shirt blanc se voit maculé d'une tache rouge, qui s'agrandi à grande vitesse, pour finir par se répandre sur le bitume. Je regarde autour de moi, afin de demander une aide quelconque, mais je me retrouve encerclée de cadavres, entassés les uns sur les autres. Je crie, plus par désespoir, que pour réclamer du soutien, mais peu à peu, je deviens aphone, jusqu'à devenir complètement muette. On me tire en arrière, puis on me secoue. Le corps de Sony m'est enlevé pour être remplacé par le néant. Je veux qu'on me lâche, car je ne veux pas me séparer de lui, je...

- Vicky, Vicky, réveille-toi, tout va bien, je suis là. 

En sursaut, la voix de ma sœur me ramène à la réalité. Je suis en sueur, ma chemise de nuit est trempée et des gouttes perlent sur mon front, pour ne pas dire, submergent mon visage. Ma cadette semble perdue devant ma détresse cauchemardesque.

- Mon dieu Victoria, mais que t'arrive-t-il ?

- Ce n'est rien Jeanne, ne t'inquiète pas, c'était juste un cauchemar, dis-je à bout de souffle.

- Non, je sais que tu mens, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je ne te reconnais plus depuis une semaine, c'est à cause de moi, si tu es comme ça ?

Comment lui expliquer ce que je tente d'oublier ? Ses erreurs et les miennes ont fusionné pour faire naitre cette nuit de fusillade. Mais ce fardeau ne lui appartient pas, c'est le mien et uniquement le mien !

- Jeanne, je t'assure, que rien n'est de ta faute. N'en parlons plus. Va dormir, ça va aller.

- Non, je reste dormir avec toi !

Après cette nuit, Jeanne me suit comme mon ombre. Inquiète de mon état, elle observe chacun de mes gestes dans les moindres détails. Sa présence pesante, m'aide à affronter ce weekend en famille, où j'agis comme une petite fille modèle.

Santana partie 2Where stories live. Discover now