Ami

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Chopin frappa quelques coups à la porte. Cela faisait plusieurs jours qu'il appréhendait de visiter son amante. Il ne savait lui-même pourquoi ; peut-être était-il seulement paresseux, ou bien redoutait-il une quelconque remarque sur la façon dont il avait gardé ses enfants, ou sur quoi que ce soit d'autre. Mais aujourd'hui, il s'y était enfin décidé.

N'ayant pas de réponse, il frappa à nouveau, et lorsqu'on lui ouvrit enfin, il ne sut s'il devait être surpris ou non.

- Eugène... B... Bonjour...

- Oh, mon petit Chopin, c'est vous! Comme je suis ravi de votre venue. J'espère que votre santé, celle du corps comme celle de l'esprit, s'est arrangée depuis la dernière fois.

- C'est le cas. Je vous remercie de votre inquiétude.

Puis comme son but premier n'était pas de le rencontrer, il jeta un œil derrière lui, le sourcil levé.

- Où est Amantine? Est-elle ici?

- Ah! Mon ami, vous la manquez. Elle est rentrée à Nohant, où Madame d'Agoult l'a rejointe. Vous êtes resté chez vous une semaine durant, à quoi vous attendiez-vous? Allons, ne restez pas sur le palier, vous avez marché jusqu'ici, entrez.

Il mit sa main sur son épaule, et le poussa doucement à l'intérieur de l'appartement, ignorant sa mine déçue.

- Pourtant elle a donné une réception il y a à peine quelques jours, j'ai entendu. Et j'ai cru comprendre qu'elle avait à faire à Paris...

Delacroix referma la porte derrière lui.

- Vous savez tout comme moi que notre amie ne tient pas en place, et que même si voyager lui tient à cœur, elle tient sans conteste à son domaine à Nohant. Elle vous y invitera sûrement. D'ailleurs vous pouvez l'y rejoindre.

- Non... Non merci. Je dois rester à Paris. Je la rejoindrai cet été, lorsqu'il fera chaud. J'aime particulièrement la campagne durant l'été...

Il se tut et demeura pensif, et Delacroix se demanda à quoi il pouvait bien penser.

- Je vois. Puisque vous êtes ici, puis-je vous accueillir convenablement? La bonne de notre amie s'en est retournée à Nohant avec elle, mais je dois être capable de faire un thé moi-même.

- Si vous le souhaitez.

Il sursauta légèrement en entendant des toussotements. Ils semblèrent provenir du salon.

- Avez-vous de la compagnie? Vous dérange-je?

- Oh, non, ne vous en inquiétez point ; cet ami que j'ai là, c'est davantage lui qui me dérange.

- Je ne savais pas que vous receviez. Je devrais vous quitter.

- Non, non, n'en faites rien, je vous prie. Au contraire, je suis ravi de vous recevoir, vous dis-je. Allez donc vous installer, pendant que je prépare nos boissons.

Il l'observa le quitter, et posa ses yeux sur la porte du salon. Après avoir pris une grande inspiration, il y entra, et posa ses yeux sur l'homme assis au milieu du canapé.

Ses cheveux bruns épais étaient bien le seul élément en lui qui était ordinaire, car il était paré de toutes parts. Presque chacun de ses doigts étaient décorés d'une bague, et même ses boutons de manchette étaient d'or. Il avait déposé près de lui sa canne, dont le manche brillait tout autant d'un or fin. Et c'était sans compter son jabot surmonté d'une broche en rubis, et sa veste grise dont le tissu semblait être des plus doux et confortable, tout en étant élégante. Même Mendelssohn n'était pas aussi extravagant dans ses richesses. Et il fallait le faire.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant