Much ado about nothing

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Une boîte de biscuits à la main, qu'il vidait petit à petit, Mendelssohn traversa le couloir jusqu'à la chambre de Schumann - qui ne servait que très peu la nuit, il fallait qu'on se le dise.

Après en avoir ouvert la porte, il trouva celui-ci assis à son bureau, comme souvent ces temps-ci, à écrire des articles plus qu'à composer. Il le trouvait d'humeur maussade depuis quelques jours et il faut dire cela l'inquiétait. Un sourire qui se voulait rassurant et léger aux lèvres, il s'approcha de lui, posant sa boîte de biscuits sur le meuble.

- Comment vas-tu? Lui demanda-t-il simplement.

- Bien. Mais ce n'est pas très important, minauda-t-il d'une voix atone.

- Au fait, mon cher Robert, j'ai appris une chose très intéressante ; il paraît qu'il y a à peine deux ans, tu as annulé des fiançailles seulement parce que ta fiancée n'avait pas d'héritage...

Schumann leva à peine les yeux de son travail. Il avait déjà du mal à rédiger son article, si en plus son compagnon venait le déconcentrer avec cette vieille histoire, ça n'allait rien arranger.

- Et? Oui, entre ça, Christel qui m'a, je le pense, donné la syphilis et le père de Clara, j'ai eu une vie amoureuse tumultueuse. Nul besoin de s'attarder là-dessus pour me le faire comprendre.

- Non, non, ce n'est pas là que je veux en venir, le corrigea Mendelssohn qui était bien trop penché sur son raisonnement pour se faire la réflexion qu'il pourrait lui aussi avoir attrapé cette maladie. Ce que je veux dire, c'est que tu fais l'homme humble qui n'aime pas me voir dépenser ma fortune pour lui, mais au fond tu es ravi que je sois si riche et aie une bonne position pour te couvrir de présents~!

- Que vas-tu dire encore...! Ne parle pas sans savoir. Oui, elle n'avait pas d'héritage, mais ainsi elle ne pouvait pas payer sa dot, et ce n'était pas tout. Je ne l'aimais pas, voilà, et j'aimais Clara, j'ai choisi l'amour au détriment d'une bonne position.

- Tu es bien trop sage... et trop clément! J'apprécie beaucoup Clara, mais sa manie de vouloir tout contrôler ne t'est pas bénéfique. De plus elle se fiche bien de ton état d'esprit! Tout ça finira mal un jour, je te préviens.

- Je sais que notre histoire est assez... atypique, mais je t'assure que nous tenons beaucoup l'un à l'autre. Et avoir une épouse et des enfants est rassurant, dans un sens. Pour une fois, tu devrais prendre exemple ; tu ne pourras pas constamment repousser le mariage.

- Mais je ne veux pas me marier! Ou alors bien plus tard. Je suis heureux avec toi, avoua-t-il en enlaçant ses épaules. Avec mon travail, ma famille. Je n'ai besoin de rien d'autre. De rien d'autre que de toi... appuya-t-il en logeant sa tête dans son cou.

- M... Merci.

- Robert... s'il te plaît, fais une pause, le supplia-t-il presque en se redressant. Tu n'as pas quitté ce bureau depuis la nuit dernière. As-tu seulement dormi?

- Qu'importe si j'ai dormi ou non, mes cauchemars me poursuivent toujours. Et laisse-moi. Je dois terminer cet article.

- Et lorsque tu auras terminé, tu me promets de me laisser t'accompagner où tu voudras? À l'Opéra, au théâtre, ou même au parc...

- O... Oui. D'accord. Excuse-moi, je suis seulement... peu importe, je pense que cela se voit rien qu'à mon teint.

- Allons, il te faut manger et dormir un peu, et ton humeur sera meilleure! Que dirais-tu que l'on joue ensemble, ce soir?

- Je n'ai pas envie de jouer. Je veux écrire.

- Dis, pourquoi n'écrirais-tu pas des romans? Tu pourrais me mettre en scène. Je serai un preux chevalier! Je serai ton Roméo, tu seras ma Juliette!

- Ou plutôt, tu seras Benedict et Franz Liszt sera ta Berénice, sourit-il.

- Quelle affreuse idée! Je préferais encore que ce soit Chopin! Lui au moins est un homme respectueux et modeste.

Schumann, qui avait pourtant retrouvé une mine amusée un court instant, reprit un visage sérieux.

- D'ailleurs, dans la lettre que tu lui as envoyé il y a quelques jours, tu as certifié que tu comprenais son point de vue, et que Liszt pensait à la majestuosité de sa prestation bien avant la beauté de son jeu. Mais as-tu pensé un instant à sa position? Tu ne peux pas le comprendre, toi, tu as toujours tout eu si facilement. Un père influent et riche et tu as un poste de directeur d'opéra qui t'est offert. Mais as-tu considéré ceux qui sont davantage dans le besoin? Peut-être que si Liszt compte plus sur l'étonnement du public que l'acceptation de ses confrères, c'est car il a bien plus besoin d'argent pour vivre que de se faire accepter par je ne sais quelle institution. En donnant de telles représentations, il s'assure une notoriété et un revenu fructueux, qui de plus sont tous deux éphémères.

Confus par ce changement soudain d'un sujet léger à un sujet sérieux, Mendelssohn cligna plusieurs fois des yeux, tentant de mettre au clair les paroles de son homologue.

- Je... n'avais en effet pas considéré la situation de cette manière.

Schumann s'arrêta d'écrire, laissant un silence, mais ne quitta pas sa feuille des yeux pour autant.

- C'est aussi pour cette raison que je n'ai pas conclu mes fiançailles. Pas parce que je ne pouvais pas m'acheter des habits de soie comme tu le penses, mais parce que j'avais besoin d'argent pour aider ma famille. Mon père est libraire, et ce n'est pas la meilleure situation... peu importe. Je n'aime pas parler de cela.

Il trempa sa plume dans l'encre, et se remit à écrire, comme pour refermer cette parenthèse.

- Ta famille est dans le besoin? Tu aurais dû me le dire! Je vais t'aider!

- Hors de question! Non, reste en dehors de cela. Je me débrouille très bien avec mon journal et l'aide de Clara. Je déteste que l'on ait pitié de moi, je te l'ai déjà dit pourtant!

- Très bien, très bien, assura-t-il devant son emportement.

Tandis qu'il gromellait, Mendelssohn reprit sa boîte en main, et en sorti un biscuit dans lequel il croqua aussitôt.

- ...Du coup, si je suis Benedict et Liszt est Bérénice, alors toi, qui es-tu? Reprit-il pour détendre l'atmosphère, et parce qu'il était bien curieux aussi.

- Je ne sais pas.

- Je dirais... que tu serais Héro, ou Claudio. Tu es aussi rayonnant qu'eux!

Schumann se tourna vers lui, le visage blâfard et les yeux décorés de cernes.

- Ne te moque pas de moi.

- C'est la vérité! Ils sont attendrissants, et je te trouve attendrissant.

- Ils sont surtout naïfs et ont une joie de vivre inégalable. Je ne crois pas correspondre à ce profil. Enfin, en effet, je pourrais être Hero... lorsqu'elle se prétend morte.

- Robert... fit-il, désemparé. Voudrais-tu un biscuit? Tenta-t-il.

- Non merci. Peux-tu me laisser seul, s'il te plaît? J'ai besoin de me concentrer pour terminer cette critique.

- D'accord... mais tu tiens ta promesse, n'est-ce pas! Lorsque tu as finis cet article, je t'emmène où tu voudras. Et si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi, ou une domestique.

- Très bien...

D'un regard rapide, Mendelssohn vérifia qu'il n'y avait aucun objet potentiellement dangereux, au cas où. Mais tout pouvait être dangereux, si on le voulait.

- Bien, je te laisse. N'oublie pas que je t'aime, et Clara aussi, n'est-ce pas? Lui dit-il doucement après lui avoir embrassé la joue.

Devant son absence de réaction, il afficha une mine concernée. Mais que pouvait-il faire?

Il soupira, et se dirigea vers la porte, qu'il referma soigneusement derrière lui. Allons, tout ira mieux dans quelques jours, il le savait.

Il baissa les yeux sur sa boîte. Vide. Bon, plus qu'à en chercher une autre.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now