Aux Champs Elysées

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- C'est joli, chez vous! Constata Mendelssohn.

Schumann, pendu à son bras, hocha la tête pour montrer son accord.

- Ce n'est sûrement pas aussi grand que votre palace, marmonna Liszt qui tenait toujours la porte.

- C'est vrai. Même la suite que nous louons en ce moment est plus grande. Vous nous faites visiter?

- Visitez par vous-même.

Liszt referma la porte et alla se rasseoir sur le canapé sans rien dire de plus, aux côtés de Chopin qui avait relevé les yeux de son livre à l'arrivée des deux invités.

- J'ai l'impression que l'on vous dérange... assuma Mendelssohn d'une moue. Préféreriez-vous que l'on se donne rendez-vous à un café?

Liszt lui envoya un regard noir comme seule réponse.

D'abord déconcerté, Mendelssohn étudia le tableau qu'il avait devant lui, et comprit petit à petit. Les deux hommes étaient décoiffés, les boutons de leur chemise froissée semblaient avoir été rattachés à la va-vite, et le livre que tenait Chopin n'était même pas à l'endroit. Il sourit en coin. Voilà pourquoi l'on avait mis tant de temps à venir leur ouvrir. Ils étaient tombés au bon moment, et il allait bien en profiter. Il savait combien les plaisirs charnels étaient importants pour Liszt, alors quoi de mieux que de l'en priver? C'était si drôle de l'énerver - pardon, de le taquiner.

Il sourit, et l'air de rien, se tourna vers son compagnon.

- Robert, ne m'avais-tu pas dit que tu voulais revoir la façon dont notre cher Liszt jouait ton Carnaval ? C'est l'occasion! De plus ce quartier me semble très charmant, j'aimerais que Frédéric me le fasse visiter. Qu'en dis-tu?

Schumann se mit à bredouiller, perdu par cette soudaine proposition, qui ne sonnait absolument pas comme en étant une.

- C'est vrai que je voulais... mais tu n'es pas obligé de... pourquoi est-ce qu'on-

- Bien! Voilà qui est décidé. Monsieur Chopin? Me feriez-vous l'honneur de me montrer ce quartier de Paris pendant que nos amis discutent de leurs travaux?

Chopin le regarda, tout aussi perdu que son homologue. Il n'en avait aucune envie, mais il se voyait très mal refuser. Et Mendelssohn avait une incroyable capacité de persuasion. Il se leva, et pesta intérieurement. Pourquoi le faisait-on toujours sortir? Pourquoi ne le laissait-on pas en paix dans son petit confort? Il alla à l'entrée pour se vêtir de sa veste, de son couvre-chef et mettre ses chaussures, à contrecœur.

Mais celui qui était le plus à plaindre était Liszt. Son visage était rouge, d'un mélange d'incompréhension et de colère.

- Voyons, mon ami, ne soyez pas si agacé. De plus Robert tenait vraiment à discuter avec vous de son œuvre. Je ne veux seulement pas vous déranger.

Sans qu'il n'ait eu le temps de répliquer, Mendelssohn avait quitté l'appartement avec Chopin, qu'il avait prit par le bras.

Liszt respira un grand coup. Non, il n'était absolument pas énervé. Après tout, il pourra bien continuer son affaire ce soir... il se tourna vers Schumann, qui fixait le sol dans un silence gênant.

- Je suis désolé du comportement de Meritis. Il devait avoir une idée en tête, je ne sais laquelle, car il agit toujours avec cet empressement lorsqu'il veut la réaliser.

"Tu ne devrais pas l'appeler ainsi devant autrui. Tu sais bien qu'ils ne comprennent pas. Qu'il ne te comprennent pas."

Schumann sursauta à cette voix envahissante. Il ne voulait pas l'entendre. Pas maintenant.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now