Marché(s)

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Schumann posa le pied sur la fine couche de neige du trottoir qui se craquela sous son poids. Voilà longtemps qu'il n'avait pas vu Leipzig couverte de blanc. Pas que ce soit peu commun, au contraire même, c'était plutôt qu'il il n'y faisait pas attention, ou que son état ne le permettait pas de sortir la voir.

Il lâcha la main du cocher qui l'avait aidé à descendre de la voiture et lui sourit poliment.

- Merci de m'avoir conduit jusqu'au centre de la ville, Wilfried. Seulement vous n'aviez nul besoin de vous proposer à cette tâche ; j'aurais pu m'y rendre à pied.

- C'était là un ordre de Monsieur Félix, Monsieur.

- Je vois... il ne cesse de s'inquiéter de ma santé, c'est exagéré.

- Sachant que vous vouliez vous rendre au marché du Christ, et qu'il était trop occupé par son travail pour vous y accompagner, il m'a également demandé de vous remettre cette somme.

En voyant la liasse de billet qu'il avait sorti de sa veste noire et qu'il lui tendait, Schumann crut s'étouffer de surprise.

- Enfin, Wilfried! C'est déraisonnable! Je ne peux pas...

- Ce sont les ordres de Monsieur. Si je ne les exécute pas, il se fâchera.

Il se mordit la lèvre, tracassé. Il détestait qu'on lui confie autant d'argent. Si ce n'était pas Meritis qui s'en occupait, c'était Clara qui gérait les finances. Il n'était absolument pas à l'aise dans ce domaine. Et surtout avec un argent qui n'était pas le sien... Il prit une grande inspiration.

- Savez-vous quoi? Gardez tout. Vous avez une femme, des enfants, n'est-ce pas? Vous en avez bien plus besoin. Je dirai à Félix que vous m'aviez bien confié cet argent, et que je l'ai perdu ou l'économise.

Ce fut au tour du cocher d'être déconcerté.

- Voyons, Monsieur...

- S'il vous plaît. Je ne pourrai jamais avoir l'esprit sain avec une telle somme sur moi. Je fais à présent partie de la demeure des Mendelssohn-Bartholdy, alors acceptez cet ordre, qui est bien le seul que je vous donnerai.

Le cocher réfléchi un court instant, et fini par hausser les épaules. Si on lui ordonnait, alors que pouvait-il rajouter? De plus sa veste de cuir était fine et la fraîcheur hivernale lui fit repousser l'envie de rester plus longtemps à l'extérieur. Enfin, si seulement il pouvait le quitter...

- Si vous le souhaitez, après tout. Prenez tout de même quelques billets. Cela peut bien vous servir, si vous faites une course.

Il ne trouva rien à dire d'autre que le remercier. Il l'observa, en silence, remonter à l'avant de la voiture.

- Je reviendrai vous chercher ici-même, à cinq heures.

- Enfin, je peux rentrer à pied...

- Ordre de Monsieur Félix. Sur ce, à tout à l'heure, Monsieur.

Il détourna le regard, d'un soupir. Cet homme avait pourtant l'air sympathique, mais il restait trop formel à son goût. C'était dommage. À la librairie de son père, où la plupart des clients étaient réguliers, la familiarité et la curiosité étaient de mise. À l'Opéra ou à la demeure de son compagnon, le sérieux et la rigueur passait avant tout. Voilà qui n'était pas très chaleureux.

En revanche, le marché au bout de la rue était tout à fait dans ce caractère. Il commença à avancer tout en affichant un sourire.

"Ne trouves-tu pas que Meritis nous encadre trop?"

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now