Envol

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- Je tiens très bien l'alcool !

Liszt se mit à rire.

- Pourtant vous n'en avez pas l'air. Vous êtes aussi rouge que si vous vous étiez brûlé le visage.

- Vous êtes pire! Cessez de vous moquer!

- Je soutiens tout de même que les hongrois tiennent mieux l'alcool que les allemands. D'ailleurs, je parie que je peux jouer plus vite que vous, assura-t-il en jetant un œil au piano qui trônait contre un mur du salon.

- Vous voulez remettre ça? Ça ne vous a pas suivi cette fois au restaurant? Essayez donc! Vous vous tromperez! Et vous vous tenez à peine droit, comment voulez-vous jouer droit? Non, cela ne veut rien dire... peu importe! Vous avez compris!

- Ce que j'ai compris, c'est que j'ai devant moi un homme de mauvaise foi qui refuse d'accepter sa future défaite.

- Défaite? Défaite?! Un Mendelssohn-Bartholdy ne perd jamais!! Et je vais vous le montrer!

- Montrer quoi? Que vous trébucherez et tomberez au sol avant d'atteindre le piano? J'ai hâte de voir ça!

- Taisez-vous!! Et de mauvaise foi? Je ne suis pas de mauvaise foi !

- Bien sûr que si ! Il n'y a pas plus hypocrite que vous! Vous souriez en société, mais il n'y a pas un seul de nos collègues que vous n'avez pas insulté!

- Si je l'ai fait, c'est qu'ils le méritaient!

- Hector, je peux comprendre qu'on le remette à sa place. Mais pour ce Richard Wagner, votre jugement était injuste! Clama-t-il en levant sa bouteille.

- Sa musique était pompeuse et affreuse! Il faudra que le monde devienne fou pour que sa musique surpasse la mienne!

- Voyez-moi cette arrogance! Votre père n'aurait pas dû tant vous gâter!

- Pour votre gouverne, mon père est l'homme le plus stricte que je connaisse, et dire qu'il m'a gâté serait une bien grande farce! Le vôtre n'a en tout cas pas dû vous éduquer correctement!!

- Vous vous comparez à Mozart, mais je suis celui qui lui ressemble le mieux! Nous avons eu la même enfance! Où nous avons appris le respect!!

- Vous me parlez de respect?! Vous êtes celui qui m'attaquez pour la simple est bonne raison que vous êtes jaloux de moi !

- Jaloux?! Moi qui ai gagné par moi-même ma réputation, jaloux d'un fils à papa sans talent comme vous qui gaspille un argent qu'il ne mérite pas?! Il faudrait être fou!

Chopin les observait en silence. Il aurait pu se croire au théâtre, mais à vrai-dire il était déjà ailleurs. Peut-être même qu'il se serait déjà endormi sous la lourdeur de l'alcool, si les deux hommes qu'il avait devant lui ne criaient pas aussi fort.

Comment en étaient-ils arrivés là? Il avait oublié. Il était en train de lire, Liszt faisant de même à ses côtés, et Mendelssohn avait frappé à la porte pour lui demander de l'accompagner en ville. Et la seconde d'après, ils s'étaient tous trois retrouvés en rond, assis au sol, ivres à en faire peur après avoir ingurgité plusieurs bouteilles de vin bas de gamme et de vodka infecte, qu'il avait chez lui, il ne savait pourquoi. Et il ne savait non plus pourquoi ils avaient tous fini dans cet état. Peut-être suite à un pari stupide? Ou une volonté de se détendre? Qui avait proposé ça?

- Cela me rappelle un rêve que j'avais fait... lâcha-t-il d'une voix atone et peu forte. Où vous vous disputiez... puis vous...

- Frédéric, dis-lui que j'ai raison! Le coupa Liszt en lui envoyant une bouffée d'air alcoolisée au visage.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now