Amour

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Pauline sentit ses joues s'empourprer. Voilà dix minutes qu'elle marchait aux bras de la femme de ses rêves, dans les longues avenues parisiennes.

Elle n'avait même pas fait part à Liszt de sa sortie, et s'était enfuie comme une jeune fille qui va au bal en cachette. Dès qu'elle avait reçu ce billet de son aînée lui informant qu'elle était arrivée à la capitale et lui sommant de la rejoindre, elle s'était habillée en vitesse et avait filé le plus rapidement possible au parc Monceau, leur lieu de rendez-vous, même si elle connaissait à peine le chemin. Elles n'étaient finalement pas restées longtemps en ce parc. À peine était-elle venue à elle que George Sand l'avait embarquée dans les rues et dans une discussion enjouée.

- ...et il a renversé toute l'eau sur la table! Maurice peut être si maladroit parfois. Dommage, tu étais déjà montée à Paris lorsque c'est arrivé. Et Eugène en avait sur tout le pantalon! Tous ceux de rechange étaient en train d'être lavés, il a fini la soirée en sous-vêtements, c'était si drôle!

Près d'elle, Pauline faisait la moue. Elle lui parlait de son fils, et il lui paraissait étrange qu'il soit à peine plus jeune qu'elle. Enfin, son aînée n'était pas à son coup d'essai dans ce domaine-là. C'est en tout cas ce qu'elle avait entendu. Et elle voulu le confirmer, car elle la coupa pour lui poser la question.

- Dites-moi, est-il vrai que vous avez par le passé eu une relation avec un homme de l'âge de votre fils?

- Vous en savez, des choses, et vous êtes bien curieuse, ma chère! Qui donc vous a dit cela?

- Monsieur Delacroix... je crois.

- Encore lui! Décidément, je ne lui dirai plus rien, il ne sait pas tenir sa langue. Enfin, c'est vrai. C'était un ami de Maurice. D'ailleurs il était tant jaloux de lui, qu'il lui a un jour écrit une lettre de rupture en se faisant passer pour moi, le coquin! Heureusement, ça n'a pas fonctionné. Mais... ce jeune homme est décédé quelques temps après. La suite, vous la connaissez ; j'ai eu d'autres amants, certains un court temps, d'autres plus longtemps. Et à présent je ne m'occupe que de mon Frédéric.

Pauline voulu en savoir plus, que ce soit sur cette relation-là ou sur toutes les autres, mais son interlocutrice changea radicalement de sujet.

- Tant que l'on parle de lui, j'y pense! Pendant que nous sommes près des magasins, je devrais m'arrêter pour lui commander une nouvelle veste. Il porte toujours la même et elle est assez abîmée.

Elle l'aimait vraiment, c'était certain. En même temps, qui ne pouvait aimer Chopin? Elle mit sa jalousie de côté, tout en se demandant si elle pourrait l'aimer autant un jour, et se plaçant dans la conversation, leva les yeux vers elle avec curiosité.

- Pourquoi est-ce vous qui vous acquittez de ces achats? Ne peut-il pas le faire seul?

- Ah! Mais c'est qu'il n'ira jamais de lui-même! Si je ne le fais pas pour lui, qui le fera?

- Monsieur Liszt pourrait s'en occuper. Il connaît bien ses goûts, de plus il est lui aussi un homme, il doit y être plus expert.

- Si c'est cela que vous pensez, alors considérez-moi aussi comme un homme.

- B... Bien...

- Je ne trouve en le sexe féminin rien d'attrayant. Je trouve les femmes sottes et passives. Comme cette pauvre Marie! Ne peut-elle se rendre compte que Franz se moque d'elle? Peu importe, vous comprenez ma réflexion. Les hommes me paraissent bien plus intéressants. Tant que lorsque je suis parmi eux, j'en viens à douter de mon propre sexe.

- Alors... ne vous intéresse-je pas? Vous serais-je plus attrayante si j'étais un homme?

C'était tout ce qu'elle avait retenu. Elle baissa les yeux. Sand de mit à rire devant son air déçu.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now