Amour attentionné

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- Il fait bien froid, aujourd'hui, déclara Angelika en levant les yeux sur les nuages gris. J'espère qu'il ne va pas pleuvoir. Ce serait fâcheux.

- Il avait plu il y a quelques jours, se rappela Schumann en avançant dans l'allée.

La domestique acquiesça pour montrer son accord. Tout en marchant à ses côtés dans l'immense marché, elle observa, comme lui, les étals de légumes qui s'étendaient sur des centaines de mètres. Ils avaient déjà acheté tous les fruits et légumes nécessaires, mais se plaisaient à se promener encore un peu avant de rentrer.

- À Paris aussi, il faisait assez froid, reprit-il, refusant le silence comme si le marché n'était pas assez bruyant. Pas autant, cependant.

- J'aimerais tant aller à Paris. Il paraît que c'est une très belle ville. Vous en avez, de la chance.

- Je ne fais qu'y suivre Félix. Puis elle n'est pas plus belle que Leipzig, à mes yeux du moins.

- Ce vent...! Se plaignit Angelika en tenant son chapeau d'une main alors que ses mèches s'envolaient.

- Nous avons déjà acheté ce qu'il fallait. Nous devrions rentrer en passant par les petites rues, nous serons protégés du vent.

- C'est une bonne idée, sourit-elle.

Ils profitèrent d'un espace entre deux exposants pour quitter la grande avenue, et s'engagèrent dans une rue plus étroite, et plus calme. Il semblait n'y avoir que des librairies et des fleuristes.

- Je vous remercie de m'avoir accompagnée, déclara Angelika après un silence. Je n'aurais su porter ces lourds paniers seuls, et en disant cela elle montra ceux qu'ils avaient chacun en main.

Son interlocuteur, qui était perdu dans ses pensées, se tourna finalement vers elle.

- Ce n'est rien. Cela me change des imprimeries et des grands magasins...

Elle se mit à rire.

- Monsieur Félix ne vous ménage pas. Mais après tout il travaille beaucoup à l'Opéra, et doit bien se détendre. Il est seulement malheureux qu'il vous entraîne dans ces achats, rit-elle encore.

- Si seulement il pouvait se détendre d'une autre façon justement. La lecture, ou le jeu... si tant est qu'il puisse lire autre chose que du Shakespeare et jouer autre chose que du Bach, rajouta-t-il moins fort, et en roulant des yeux.

- Monsieur Félix a toujours dépensé sans compter. Mais c'est aussi car il aime faire plaisir aux autres. Il est très généreux.

- Tout de même. Il ne cesse de m'offrir des présents. Et il s'offre tant de choses inutiles, des vêtements qu'il ne met jamais, des objets qu'il oublie. Je me dis qu'il fut élevé ainsi, qu'il est encore naïf dans ce sens, mais parfois cela m'inquiète.

- Pourquoi s'en inquiéter? Jamais il ne dilapiderait la fortune de la famille. Monsieur son père la gère très bien et la banque prospère.

- Ce n'est pas pour sa famille que je m'inquiète, mais pour lui. Peut-on seulement dépenser ainsi sans qu'il n'y aie quelque mal derrière?

Angelika haussa les épaules. Pour elle, il n'y avait aucun sous-texte à ce comportement.

- Beaucoup de très riches aristocrates dépensent tout autant. J'ai travaillé dans des familles où les robes et le maquillage acheté en un jour coûtait des mois de mon salaire. Même s'il est vrai que ce sont d'habitude les jeunes filles qui agissent ainsi, et que les hommes sont plus conscients.

- Je n'ai jamais connu personne de semblable. Il faut dire que je n'ai jamais fréquenté la haute-société. Mon épouse est elle bien peu dépensière. Elle vient de la bourgeoisie pourtant, mais s'habille sobrement, et sait se contenter de peu.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now