Vamos a la playa

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- Je veux rentrer à Paris.

- Voyons, Chopinetto mio, nous ne sommes ici que depuis hier!

Chopin ne releva même pas les yeux vers Berlioz. Il remonta ses genoux à lui, et y logea son visage.

Il détestait se reposer sur la plage. S'y balader, pourquoi pas, mais là, il saturait. Le Soleil lui faisait avoir des bouffées de chaleur, l'odeur de la mer lui donnait la nausée, et le sable collait à ses pieds et à ses vêtements. Et pour couronner le tout, il devait supporter Berlioz et ses commentaires incessants sur chaque paragraphe de chaque article de chaque journal qu'il lisait.

- Ne me dis pas que tu préfères Paris à ces belles écumes, cette eau si bleue, cet air si pur... vois devant toi le royaume de Neptune et inspire-toi en.

- Je préfère m'inspirer des livres rangés dans ma chambre, marmonna-t-il.

- Tu apprécies pourtant accompagner ta femmes de lettres en voyage, pourquoi n'apprécies-tu pas un court séjour sur les bords de mers avec Franz et moi?

- Parce qu'elle ne me force pas à rester des heures sur la plage à supporter ses commentaires sur la nouvelle danseuse de cabaret en vogue! Grogna-t-il, le visage toujours entre les bras.

Berlioz fit fi de cette remarque, et comme si cela lui rappela ce qu'il était en train de faire, il reprit son journal, qui se pliait légèrement sous la douce brise maritime.

- Non, mais regarde-moi la tenue de cette danseuse... c'est à croire qu'elle n'avait pas assez d'argent pour payer assez de tissu à la couturière! Les femmes n'ont vraiment aucune pudeur de nos jours. Imaginerais-tu un homme donner un concert en sous-vêtements?

Chopin aurait rit s'il n'était pas d'aussi mauvaise humeur. Heureusement, cette plage était presque vide, mise à part un couple se baladant et une famille jouant avec leur chien. Sinon, cela aurait été encore pire.

- Et ses chaussures... elle a de grands pieds pour une femme! Comment peut-elle trouver de belles chaussures à sa taille? Elle n'a pas dû, vu la laideur de celles qu'elle porte... ou bien celui qui a dessiné cette esquisse ne sait pas respecter les proportions...

Pitié, que quelqu'un le sauve.

- Frédéric, j'ai pêché notre souper!

Il releva la tête, et lâcha un cri peu viril en faisant un bon en arrière face à la crevette aux yeux globuleux qui lui était présentée.

- Et j'en ai pêché une dizaine!

Tremblant, Chopin fixa Liszt en fronçant les sourcils.

- H-Hors de question que cette affreuse créature aterrisse entre mes lèvres! Et si elle était avariée, ou malade? Je pourrais en mourir!!

- C'est vrai que je connais le cousin d'un ami qui est mort après avoir mangé une écrevisse que sa femme lui avait pêché, avança Berlioz.

- Alors bas les pattes avec ton souper empoisonné, Franz!

Il haussa les épaules, et s'accroupit devant eux, posant son filet sur le sable.

- Comme tu voudras ; moi, je les mangerai. Tiens, je vais même en manger une tout de suite, devant toi, et tu verras comme elles sont délicieuses.

Chopin observa avec dégoût son compagnon retirer la peau du petit animal, et en déguster l'intérieur. Sa nausée reprit de plus belle.

- Elles ont du goût! Tu n'en veux vraiment pas une?

- Non!! Pas même avec de la sauce et l'approbation d'un cuisinier!

- L'on ne doit pas manger beaucoup de crevettes en Pologne, supposa Berlioz. Mon adorable Chopinetto ne doit pas être habitué aux fruits de mer.

- Et l'on n'en trouve pas non plus en Hongrie, alors je me demande bien pourquoi Franz en raffole tant...

- Mais c'est justement parce qu'ils sont rares par chez moi que je profite d'être en France pour en déguster. Même la mer, elle n'est pas dans mon pays.

- C'est donc pour cela que tu as tant insisté à ce que l'on accompagne Hector ici...

- Exactement! Sourit Liszt en se redressant et en lui embrassant rapidement la joue. À présent, viens nager!

Malgré cette tendre bise, Chopin lui envoya un regard noir, signifiant que s'il l'accompagnait dans l'eau, ce sera pour l'y noyer.

Il voulu lui répondre, mais il éternua, et sortit aussitôt son mouchoir de sa poche pour s'y moucher violemment.

- Mon garçon a une constitution si faible... constata tristement Berlioz.

- Ce sont ces vents marins...! Et si je touche cette eau glaciale, je pourrais en mourir! Répéta-t-il.

Il s'essuya les yeux, dont avait commencé à couler quelques larmes. Il était sûr que c'était le sable.

- Franz, je veux rentrer à l'hôtel! Clama-t-il en s'essuyant le visage.

- Alors que nous n'avons pas encore nagé?

- Au diable ta baignade! Je veux mon lit, mes livres et mes feuilles de partition!

Liszt, qui s'était levé, croisa les bras, et lui envoya un sourire moqueur.

- Et c'est moi que tu traites d'arrogant? C'est que notre Chopinetto nous ferait presque un caprice...

- Très bien, puisque c'est ainsi, je rentre, seul ! Pesta-il en se levant.

- Frédéric...

- Je ne suis pas énervé contre toi. Tu le sais très bien. Je veux juste me reposer dans un bon lit. J'ai assez respiré l'air frais.

- Dans ce cas, je vais demander à cette jolie demoiselle là-bas si elle veut bien venir nager avec moi, sourit-il en montrant une jeune femme blonde qui ramassait des coquillages.

- Fais donc...

Chopin secoua la tête d'un soupir, et ramassa sa veste, qu'il dépousseta du sable. Il ne changera donc jamais.

Berlioz était à nouveau plongé dans son journal, et Liszt avait déjà filé vers sa nouvelle conquête.

- À tout à l'heure, Hector. L'on se rejoindra au souper. En espérant que Franz n'aille pas harceler le cuisinier de l'hôtel pour qu'il nous cuisine ses crevettes... il en serait capable.

Sa veste entre les mains, sa chemise et ses cheveux volant au vent doux, Chopin s'engagea sur rampe pour quitter la plage. Il jeta un dernier coup d'œil vers Liszt. Celui-ci montrait un coquillage à la jeune femme, qui avait l'air plutôt contente. Mine de rien... lui aussi, il était content d'être ici avec lui, au fond.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant