Réflexion

41 3 8
                                    

Liszt remit l'une de ses mèches de cheveux derrière son oreille. Les quelques nuages gris qui couvraient le ciel avaient amené avec eux une brise légèrement fraîche. Il jeta un coup d'œil rapide vers Sand, qui, assise près de lui sur le même banc, était aussi silencieuse. Finalement, ce fut lui qui prit la parole en premier.

- Très bien, que me voulez-vous?

Il avait croisé les bras, et la fixait avec sérieux.

- Seulement converser avec vous. Nous sommes amis, n'est-ce pas?

- Oui, amis... seulement.

- En réalité, Franz, j'ai parfois l'impression que vous tenez plus à Frédéric que moi.

Liszt ne se demanda même pas d'où sortait cette affirmation.

- Je tiens tout autant à lui que vous.

- Et vous ne tenez donc pas à moi?

- Si, bien sûr...

- Alors qu'est-ce?

- Eh bien, vous ne m'êtes souvent d'aucune utilité, voilà tout.

- D'aucune... pardon?

- Voyez, je n'aime pas perdre mon temps. Aussi si je dois tenir compagnie à quelqu'un, il faut que cela m'apporte quelque chose. Un sentiment fort qui m'y fait m'attacher, une discussion intéressante... je suis attaché à vous, et converser avec vous m'intéresse, mais il n'y a jamais rien de nouveau. Je vous connaît trop. De plus, vous voulez me plaire, mais j'aime les femmes dociles ayant une légèreté d'esprit, et vous êtes tout le contraire.

La jeune femme avait baissé les yeux, mais son visage ne trahissait aucun sentiment.

- Je vois... c'est pour cela que vous êtes si attaché à Frédéric...

- Bien sûr que non! Voyez, c'est cela que je ne supporte pas : vous le voyez donc si faible? Il n'est pas un enfant!

Elle soupira. Ce n'était vraiment pas la première fois qu'on lui répétait ça. Elle préféra changer de sujet.

- Sachez tout de même que je tiens à vous, Franz.

- Je vais vous dire pourquoi vous tenez à moi. Vous tenez à moi, car vous ne pouvez pas m'avoir. L'amour vous intéresse, mais pas son but ; ce que vous aimez, c'est plaire, que les hommes et les femmes soient séduits par votre corps et votre esprit. Mais nous sommes deux esprits forts ; jamais nous ne pourrions être ensemble. Et je suis sûr qu'au fond, vous ne le voulez pas non plus.

Sand avait fini par sourire, sans toutefois lever les yeux vers lui.

- Vous avez raison. J'ai à votre égard une affection toute particulière, que je situerais entre l'amour et l'amitié. Un sentiment fort... en réalité, vous m'intriguez. Tous ces hommes et ces femmes qui ne résistent pas à mes charmes sont bien amusants, c'est vrai, mais bien trop faciles à avoir. J'aimerais que vous puissiez comprendre... mais apparemment vous aimez tout le contraire. Vous aimez charmer et que l'on vous tombe aussitôt dans les bras... peut-être ressentez-vous même une certaine satisfaction à me rejeter comme toutes ces femmes dont vous avez brisé le cœur.

- Ne dites pas de sottises! Si je ne m'attache pas davantage à ces femmes, c'est pour ne pas m'attirer des ennuis.

- Je sais qu'il y a une autre raison.

- S'il y en avait une, pourquoi vous la dirais-je?

- Parce que vous me faites confiance.

Liszt soupira. Après tout, que perdrait-il à lui expliquer plus précisément? Et puis au moins, elle lui fichera la paix avec ça.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now