Pomme

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Dehors, sous la lumière des lampadaires, la ville était toujours animée. Et pourtant, la fraîcheur de l'air contrastait avec la chaleur de l'ambiance des rues. L'on y riait, y discutait. Au bras de Mendelssohn, Schumann descendait lentement les marches de l'Opéra de Berlin, pour rejoindre les passants toujours en liesse après la représentation à laquelle ils avaient assisté.

Il se rapprocha de lui, colla son épaule à la sienne. Il avait tant envie de l'enlacer, de se blottir dans ses bras chaleureux et rassurants. Durant toute la représentation, il avait dû se retenir de ne serait-ce que le frôler, et cela avait été insoutenable. Il aurait au moins voulu lui prendre la main... Ce qu'il ne pourra faire qu'après être enfin dans leur chambre. Vraiment, il peinait à supporter l'attente. Au moins, avec Clara, il pouvait se montrer ne serait-il qu'un peu tactile en public, et ce n'était pas mal vu.

Comme pour se faire encore plus de mal, il leva la tête et posa son regard sur lui. Ses yeux doux l'attendrirent, et le sourire qu'il lui tendit le fit réellement fondre.

- Alors, Robert, qu'as-tu pensé de cet opéra? Tu ne me l'as pas dit clairement.

Il resserra sa prise sur son bras, et détourna le regard.

- Toi, dis-moi d'abord.

- Hm... réfléchit-il, c'était bien, mais je l'ai trouvé trop long. Combien de temps a-t-il duré? Cinq heures? Heureusement que ma sœur ne s'est pas jointe à nous, finalement. Elle n'aurait cessé de se plaindre.

- Moi, j'ai aimé le fait qu'il soit long. Cela nous permet de nous plonger proprement dans l'histoire, et d'en assimiler correctement le contexte. Oui, ainsi l'on pourrait presque s'y croire!

- Si tu le dis.

- Puis, n'as-tu rien à ajouter, à part le fait qu'il était "bien" et long? Je sais bien que je suis un critique musical, j'ai l'habitude d'analyser les œuvres musicales davantage en profondeur, mais toi tu es à present le directeur de l'orchestre de Leipzig, Meritis!

- C'est seulement que je suis fatigué... la musique était variée, certes, mais trop présente à mon goût.

- C'était un opéra. À quoi t'attendais-tu?

- Il y a des opéras où les cantatrices respirent davantage...! Puis, c'était trop nouveau pour moi. Tu sais que j'apprécie la musique plus ancienne.

- Crois-moi, si l'on jouait du Mozart ou du Salieri, je t'en aurais parlé.

- Actuellement, j'aurais préféré du Bach.

- Bach n'a même pas composé d'opéra! Puis d'ici à ce qu'il y ait un quelconque concert de Bach...

- C'est cela que je souhaite faire, Robert. Le faire connaître de tous. Même si pour cela, je dois faire quelques variations de ses œuvres.

- Je te souhaite bon courage. Les femmes - et mêmes les hommes -, à notre époque, sont davantage friands de virtuoses belâtres et sensationnels, qui donnent d'incroyables prestations sur des pianos brillants comme Franz Liszt, que de vieux compositeurs comme Bach qui jouaient seuls sur un orgue dans une vieille église. Oui, bon courage pour faire connaître ces musiciens que l'on doit dépoussiérer, à des femmes en furie qui assistent à un concert de piano davantage pour le beau visage du pianiste que pour la musique qu'il joue.

Mendelssohn ne put s'empêcher de rire. Même s'il généralisait beaucoup, Schumann n'avait pas tort, au fond.

- Cependant, je pense que lorsqu'une cause nous tient à cœur, tout ce que nous ferons pour elle portera ses fruits. Que ce soit dans un futur proche ou très lointain.

- Tu es bien optimiste...

Les deux hommes quittèrent la rue principale et animée pour s'engager dans de petites rues étroites bien vides et silencieuses. Schumann en profita pour poser sa tête contre son épaule.

- D'ailleurs, en parlant de Franz Liszt... j'aimerais beaucoup retourner à Paris pour les rencontrer à nouveau, Frédéric et lui. Enfin... je sais que ce sera un peu coûteux, d'organiser un autre voyage, et-

- Ne t'en fais pas pour ça, le coupa-t-il. Nous partirons quand tu voudras, et combien de fois tu voudras.

- C'est trop, je ne peux pas...

- Je vais cela parce que je veux te faire plaisir. Puis j'apprécie beaucoup voyager, moi aussi. Et à toi, cela te fera respirer un autre air.

- Bien...

Mendelssohn retira son bras de son emprise, pour l'entourer par la taille, son autre main dans la poche.

- D'ailleurs, c'est bien dommage que Franz Liszt et Frédéric ne soient pas à Berlin ; ils auraient pu nous accompagner à l'Opéra ce soir.

- Si Monsieur Liszt avait été présent, tu te serais encore disputé avec lui... puis je ne crois pas qu'il aime tant l'opéra. Quoique, des révoltes contre de méchants autrichiens, cela lui conviendrait bien... Puis Frédéric non plus. En plus il y a trop de monde, il ne doit pas apprécier.

- Pourtant, je suis sûr qu'il y a à Paris d'aussi belles représentations qu'à Berlin. Ils manquent quelque chose! De plus, cela pourrait les inspirer.

- C'est vrai.

Un silence régna, et un petit sourire aux lèvres, Schumann en profita pour se rapprocher de lui au possible.

- Par ailleurs, Meritis... je te remercie de m'avoir offert la place. Moi-même, je n'aurais pas pu...

- Voyons, c'est tout à fait normal. Tu tiens une journal de critique musicale, que serait-ce de te priver de musique? Tu pourras y publier une critique de Guillaume Tell !

- Pourquoi pas...

Il ferma les yeux un court instant. Il ne faisait même pas froid. L'air lui avait semblé glacial, en sortant de l'opéra, mais à présent il avait chaud.

Il ne se sut même pas s'ils discutèrent encore, mais il sut qu'une fois rentrés et installés dans leur lit, il ne l'avait plus quitté de la nuit.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant