Lapin

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- Robert...?

Mendelssohn ouvrit doucement la porte, et observa son compagnon, enfoui sous plusieurs couches de couvertures dans son lit. L'inquiétude se reflétait sur son visage.

- Robert, as-tu faim? Le repas est prêt.

- Non merci. Tu présenteras mes excuses à ta famille.

- Je ne peux rien faire pour que tu ailles mieux?

- Non, je veux être seul... va souper sans moi.

Mendelssohn baissa les yeux et se reprit.

- Bien. Si tu te décides à venir, n'hésite pas.

Il le quitta, et referma la porte.

Schumann se replia davantage sur lui-même. Il détestait refuser des choses à Mendelssohn. Et surtout à sa famille. Oui, il devait le détester, maintenant. Mais ça ne faisait rien. Lui aussi se détestait.

"Es-tu encore en train de culpabiliser?"

Il leva les yeux. Eusèbe se tenait en face de lui, assis sur le lit. Il avait l'air agacé... ce n'était pas son genre, pourtant.

Eusèbe n'était pas comme Florestan. Il était doux, compatissant. C'était lui qui l'avait consolé lors de ses premiers chagrins d'amour. Qui l'encourageait. Mais comme Florestan, il avait aussi une part sombre, surtout lorsqu'il se mettait en colère. Heureusement, ça arrivait peu. Parfois, tout comme ce dernier, il était une ombre terrifiante, qui le suivait jusqu'au plus profond de son esprit. Mais heureusement, aujourd'hui, il était un jeune homme souriant, aux cheveux châtains et bouclés, habillé d'une tenue médiévale et colorée. Cela lui fit chaud au cœur de le voir.

- Eusèbe, la dernière fois que tu es venu me voir, tu m'as fait très peur... je n'aime pas ça...

"C'est parce que tu étais en compagnie de Meritis. Tu sais bien que je le déteste."

- Pourtant il n'a rien fait de mal! Il s'occupe de moi.

"Et lorsqu'il en aura assez, il t'abandonnera. Florestan et moi, nous serons toujours là pour toi, nous. Nous l'avons toujours été."

- Mais Meritis... m'aime...

"De l'amour? Cet affreux péché? Tu demandes la pitié de Dieu, crois-tu que tu l'auras lorsqu'il s'apercevra de ce que tu as commis avec cet homme?"

- Ce n'est pas un péché! Je... non, ce n'en est pas un! Puis Dieu me pardonnera!

"Pardonne-toi déjà toi-même, et ensuite tu pourras demander le pardon de Dieu."

- Eusèbe... tu m'aimes?

"Bien sûr."

- Alors pourquoi tu es encore si méchant avec moi...?

"Parce que je fais partie de toi. Et que j'ai beau t'aimer, comme n'importe quel homme s'aime, je porte également tes regrets, ta culpabilité, et la haine que tu éprouves pour ta propre personne."

- Je... Je ne me déteste pas...!

"Combien de fois t'en es-tu voulu de ne pas savoir composer des mélodies aussi belles que celles de Chopin? De ne pas savoir jouer du piano avec autant que technique que Liszt? De ne pas savoir écrire aussi bien que le plus simple ses écrivains? De ne pas savoir cuisiner aussi bien qu'une servante? De ne pas être aussi rayonnant que Meritis?"

- Je ne peux rien... à tout cela...

"Et pour cela, tu t'en veux davantage, car tu ne peux blâmer Dieu."

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now