L'Art d'aimer

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- Ça ne va pas! Reprenez! Les trompettes seules d'abord, puis les violons. Commencez en fortissimo, comme il est écrit. Ne vous trompez pas de ton, faites l'ut... en ré, pas en fa! Ne savez-vous pas lire? Reprenons encore, plus délicatement cette fois. Tour à tour, que je puisse évaluer la capacité de chacun, et ensuite nous reprendrons ensemble. Giacomo, en premier. Approchez, oui, et suivez mes mouvements.

Tandis que le jeune homme, qui avait les doigts rouges d'avoir trop joué, fit résonner le son de sa trompette dans l'opéra exempt de public, Schumann s'approcha à pas lents de la scène. En vérité, même si Mendelssohn restait concentré lorsqu'il jouait au piano, au violon, ou peignait, il ne l'était jamais autant que lorsqu'il dirigeait un orchestre. Étant à la tête de celui de Leipzig, il devait probablement prendre ce rôle à cœur. Schumann jeta un œil aux sièges vides. Lui aussi, s'il avait eu une opportunité pareille, serait fier de l'exercer.

- Il te faut encore de l'entraînement. Nous ne pourrons pas laisser entendre un tel jeu la semaine prochaine! Constantin, à toi.

Le jeune homme ne sembla guère montrer de motivation, et s'exécuta avec automatisme. Ce fut assez bon, mais Mendelssohn l'arrêta tout de même, abaissant sa baguette qu'il n'utilisait même pas.

- Faisons une pause. Ce n'est pas agréable de voir vos yeux fatigués lorsque je vous mène.

- Merci, Herr Mendelssohn...

Tandis que l'orchestre de séparait, pour s'éponger le front ou pour trouver un verre d'eau au plus vite, Mendelssohn se laissa tomber sur sa chaise avec un soupir. Il n'aurait pas remarqué que son ami l'avait rejoint si ce dernier ne l'avait pas appelé à demi-voix.

- Robert! S'exclama-t-il en se relevant et se retournant. Mon cher Robert, depuis quand es-tu là?

- Pas si longtemps, avoua-t-il. Je m'ennuyais, chez toi, et comme Clara est à Berlin pour organiser sa tournée... enfin, comme je n'arrivais pas à écrire, et que je vais assez bien, je me suis dit que je viendrais te voir à l'opéra, comme je viens rarement. Et j'avoue que c'est à la fois très instructif et agréable. J'aime te contempler en pleine répétition. Tu es très impressionnant.

- Bien sûr, si je ne mène pas correctement les musiciens, comment notre représentation pourrait-elle plaire au public? Contrairement à ce que dit cet arrogant de Liszt, un chef d'orchestre, ce n'est pas inutile. Et au moins, avec moi à leur tête, l'Opéra de Leipzig ne représentera pas de mauvais opéras, comme ceux de ce Wagner par exemple... Il peut toujours attendre pour que je lui renvoie un avis sur les partitions qu'il m'a envoyé, d'ailleurs, celui-là. Je n'en ai lu qu'une page et c'était mauvais, tout autant que son opéra auquel nous avons assisté. Jamais il ne deviendra un artiste reconnu.

- Je l'ai pourtant trouvé convenable et ayant du potentiel... tu ne devrais pas juger si vite, Meritis, un jour cela te retombera dessus, dit-il dans un rire pour l'apparence, même si au fond il était sérieux.

- Qu'y puis-je si mes confrères ne sont pas à ma taille, ni à celle des institutions? Tiens, c'est comme ce cher Berlioz ; je l'ai déjà dit il y a des années, mais il est à lui-même une vraie caricature, sans ombre de talent, cherchant à tâtons dans les ténèbres et se croyant le créateur d'un monde nouveau. Tout comme tant d'autres idéalistes!

- Je ne comprends pas, n'appréciais-tu pas sa musique?

- J'appréciais sa détermination, mais au final je crois que j'avais seulement pitié de lui. Puis ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu. La dernière fois, c'était en 1831, je crois. Cinq ans déjà! Et ça ne me manque pas. Peu importe, ne trouves-tu pas qu'il fait chaud? Oui, sortons d'ici et allons nous promener un peu avant de reprendre les répétitions. Cela me fera respirer un air frais.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now