Daddy's little girl

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- Blandine, ça suffit! Bois cette soupe!

La petite fille d'à peine un an et demi ne fit que rire devant l'emportement de son père, et la mixture verdâtre se déversa davantage sur son menton qu'entre ses lèvres.

Liszt laissa tomber la cuillère dans son assiette, et se massa les yeux avec lassitude. Jouer la plus ardûe des sonates était bien plus simple que de nourrir cette créature. Au moins, le piano ne lui recrachait pas ses notes à la figure, ni ne semblait se moquer de lui.

En pleine lamentation, il remarqua à peine sa fille attirer sa main à elle et mettre son doigt dans sa bouche toute petite.

- On ne mange pas ça! Râla-t-il en le retirant. Je comprends que ces doigts extrêmement talentueux peuvent être alléchants, mais ce ne sera pas pour toi. Toi, tu as ta soupe.

Blandine baissa les yeux sur le plat avec une grimace.

- Pas bon...

- Mange, ou sinon tu vas mourir de faim et ta mère sera encore plus en colère contre moi.

D'un soupir, il reprit la cuillère en main, qu'il rempli de soupe et porta à nouveau à sa bouche. Mais la fillette ne fit que la repousser de sa main.

Il était prêt à lui verser le contenu de l'assiette sur la tête si quelques coups à la porte ne l'avaient pas détourné de cette envie.

- Entrez, grogna-t-il en faisant tourner sa cuillère dans la mixture avec agacement.

Il entendit la porte s'ouvrir, et se refermer tout aussi vite.

- Bonjour, Franz, c'est moi. J'ai fini l'Étude dont je t'ai parlé, je voulais avoir ton avis là-dessus et...

Chopin se figea littéralement en voyant la scène qu'il avait devant lui. C'était bien la première fois qu'il voyait Liszt avec un enfant dans les bras. Mais à une table, avec l'enfant sur ses genoux à essayer de le nourrir, c'était encore plus incroyable.

- Tu... qui est cet enfant?

- Ma fille! Qui d'autre! Cracha-t-il. Maintenant montre-moi cette Étude.

- Ta fille... Blandine, c'est cela?

- Oui. Alors? Me la donnes-tu?

- C'est la première fois que je la vois... réalisa Chopin, qui comme fasciné, ne la quitta pas des yeux et les joignit à la table, en tendant les feuilles à son compagnon sans le regarder.

- Ah! C'est une véritable punition! Je me serais bien passé de me la coltiner.

Liszt jeta un rapide coup d'œil aux partitions, mais avait du mal à se concentrer, entre Chopin qui avait les yeux rivés sur lui et sa fille qui tirait sa manche.

- Ce n'est pas très aimable de ta part. Pourquoi en as-tu la charge? N'est-ce pas une nourrice qui s'en occupe?

Il plaqua les partitions à la table, arborant à la fois un air dramatique et agacé.

- Si, mais figure-toi que Marie me l'a envoyée pour quelques jours comme un cadeau empoisonné, suite à notre dispute! La nourrice a pris un congé et ne rentre que la semaine prochaine! Quelle farce! Elle voulait que je prenne mes responsabilités, que je m'occupe de notre fille... c'est bien ironique de sa part! Elle ne s'occupe pas plus d'elle que moi, notre Blandine passe plus de temps dans les bras de sa nourrice que dans ceux de ses parents, nous aurions mieux fait de la faire adopter!

- Ne dis pas ça... elle a l'air heureuse d'être avec toi, avança Chopin en baissant les yeux sur la petite fille, qui les yeux grands ouverts, semblait contempler son père avec une grande admiration. Et elle si calme. Les bébés, c'est bruyants, souvent.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now