Tenderness

22 1 6
                                    

- Je suis rentré!

À peine Mendelssohn avait-il refermé la porte que Fanny s'empressa de se présenter à lui.

Point d'embrassades, elle croisa simplement les bras tout en le fixant d'un mauvaise œil. Elle était étonnement bien parée ; ses mèches blondes tombaient en anglaises sur ses épaules, mises en valeur par de petites boucles d'oreilles d'émeraude, et sa robe rouge pâle pourtant simple semblait briller. Voilà qui contrastrait bien avec la tenue sobre de son frère.

- Enfin! Tu étais censé revenir ce matin! S'exclama-t-elle sans même le saluer.

Il leva les yeux au ciel, agacé de devoir se justifier.

- Pardonne-moi, j'ai eu quelques problèmes à la frontière. J'ai voyagé dans une voiture commune, et l'on a trouvé cela suspect que je transporte autant de richesses dans mes bagages tandis que mes compagnons de voyages portaient des vêtements à peine décents. Il s'en est fallu de peu pour que je ne me fasse pas arrêter pour vol... Enfin, je t'ai tant manqué que ça?

- Toi alors! Et ne rêve pas, au contraire, je n'ai jamais été aussi sereine qu'en ton absence. J'ai hâte de retourner vivre avec mon mari, lorsque je n'aurai plus à m'occuper de papa. Je n'aurai plus à te supporter.

- Comment va-t-il, d'ailleurs? La questionna-t-il en posant ses lourdes valises contre le mur et en retirant sa veste.

- Assez bien. Il a vite guéri de ses rhumatismes. Un éternuement et il se sent mourir... on pourrait presque le comparer au malade imaginaire de Molière. Il t'attendait pour ce matin, figure-toi ! Il voulait que tu accompagnes maman à l'Opéra à sa place. Finalement elle y est allée avec des amies - et elle devrait être rentrée depuis plusieurs heures, enfin... -. Puis...

En parlant de santé, un autre sujet vint à l'esprit de la jeune femme.

- Puis-je... puis-je te parler, en privé, un instant? Lui glissa-t-elle en jetant un œil autour d'eux, l'air concerné.

- Qu'y a-t-il? Tu n'as plus d'argent et tu veux t'acheter une nouvelle robe à la mode? Sache que je ne t'en donnerai pas. Vous les femmes, vous dépensez toujours sans considérer le travail de votre père ou mari...

- Imbécile! C'est bien plus grave. C'est à propos de Monsieur Schumann.

Aussitôt, il fronça les sourcils, et empoigna son bras pour l'emmener au bout du couloir, dans une chambre de bonne vide. Là où on ne les entendra pas.

Il lâcha immédiatement son bras et son emportement s'effaça, remplacé par un visage inquiet.

- Que se passe-t-il? Lui est-il arrivé quelques malheur? Où est-il?!

- Dans ta chambre, grogna Fanny, plus embêtée et désarçonnée qu'autre chose. Écoute, durant tes quelques jours d'absence, il a été très sympathique, et vraiment, je n'ai rien à redire sur sa politesse. Cependant, il y a certaines choses... comment dire? Il est étrange, parfois. Il agit étrangement.

- C'est seulement ça? Je suis au courant. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est si admirable et attendrissant.

- Tu ne comprends pas. Il... parfois, je l'entends parler seul. Pas comme l'on se parle à soi-même, non, l'on dirait qu'il mène une vraie conversation, avec quelque créature qu'on ne peut voir! Et il entend du violon, de la flûte, de la cornemuse... sérieusement, qui joue de la cornemuse à Leipzig?! C'est assez déconcertant. Il écrit jusqu'à tard, et quand le lendemain il me montre son œuvre, c'est autant magnifique qu'incompréhensible, suivant les lignes...

Mendelssohn avait été légèrement alerté, mais en soi rien de nouveau jusque là.

- Et... c'est tout? Osa-t-il demander, redoutant une suite - et il avait raison.

La mélodie des sentimentsWo Geschichten leben. Entdecke jetzt