Pauline

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Éclairé par la lumière de Lune qui traversait la fenêtre ouverte pour venir se poser sur son clavier, Chopin barra une note sur sa partition, et en rejoua une. En effet, elle convenait mieux.

Il posa son crayon à papier, et les deux mains sur le clavier, les joua à la suite. Non, il pouvait encore améliorer cet accord... c'était joli à entendre, mais cela ne faisait pas assez mélodieux, poétique à son goût.

Lorsque quelqu'un frappa à la porte, il était en train de barrer toute la ligne. Il prononça un "Entrez", d'une voix peu élevée, tout en tentant de nouvelles notes.

La porte s'ouvrit doucement sur une jeune fille, qui n'hésita pas à entrer et à la refermer derrière elle. Vêtue d'une longue robe de chambre blanche, ses cheveux brun clair attachés en arrière dans un chignon, Pauline s'approcha du compositeur silencieusement, ses pieds nus craquant à peine sur le parquet. Chopin n'eût même pas besoin de relever la tête pour la reconnaître, et écrit une note au-dessus de celles barrées tandis qu'elle venait s'appuyer sur le piano.

- Que jouez-vous, si tard dans la nuit? Le questionna-t-elle, à demi-intriguée.

- Il n'est pas si tard que cela. Je jouais l'une de mes Nocturne. J'en faisais quelques rectifications. J'apprécie les jouer au clair de Lune. Et vous, que faites-vous levée à cette heure? Une jeune fille ne devrait pas veiller ainsi.

- Je ne parviens pas à m'endormir... lui avoua-t-elle d'une moue. Pourtant, j'ai tout essayé : j'ai lu, compté les moutons, révisé mon solfège. Mais rien n'y fait.

- Il est de ces nuits où le sommeil ne nous atteint pas...

- En réalité, mes pensées sont concentrées sur une personne, Monsieur Chopin, et je crois bien pouvoir vous l'avouer, à vous.

Il ne leva toujours pas les yeux sur elle, et commença à jouer sa partition dès le début. Il avait beau être sentimental, les histoires d'amour d'une jeune fille ne l'intéressaient pas.

- Dites-moi... est-ce un jeune homme que vous avez rencontré? Demanda-t-il avec désintérêt.

- Pas vraiment. Il s'agit en réalité d'une femme.

- Tiens donc.

- C'est Aurore qui hante mes pensées, jour et nuit... avoua-t-elle, les mains derrière le dos. Elle est parfaite, je... je l'aime. Je suis amoureuse d'elle.

Chopin s'arrêta de jouer - et pour cela il fallait un grand choc -, et la regarda avec incrédulité. Il en avait vu, des élèves tomber amoureuses de Franz ou de lui-même, mais d'Amantine, c'était nouveau.

- ...Vous me faites une farce, n'est-ce pas?

- N'ai-je pas l'air sérieuse?

Oh que si, elle avait l'air sérieuse. Cette fois, il la regardait, il la fixait même.

- Enfin, Pauline...

- Elle est si intelligente... et si belle! Je ne cesse de penser à elle, tous les jours, et mon cœur bat si fort lorsqu'elle est à mes côtés! Et elle m'apporte tant d'attention... des attentions bienveillantes, qui comblent le cœur... lorsqu'elle s'adresse à moi, m'écoute jouer, me montre ses écrits, je ne peux cacher ma joie!

Chopin se massa les yeux. Il n'avait pas besoin de ça.

- Il est normal pour une jeune fille de prendre une aînée comme modèle.

Il se mordit la lèvre, se rendant compte de la bêtise de sa phrase. Il était vrai que la jeune fille avait perdu sa sœur aînée il y a quelques années de cela... heureusement, elle ne sembla pas en faire le rapprochement, ou bien ne le laissa pas paraître.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now