Peins-moi la nature

22 1 6
                                    

- Meritis, tu devrais te lever. 

- Hm... non.

- Tu n'as pas quitté ton lit de la journée. Quel paresseux tu es.

- Laisse-moi, grogna-t-il en tournant une page de son livre.

Schumann observa son compagnon avec consternation. Il était couché sur le dos, ou plutôt il gisait sur le matelas, la tête presque hors du lit. Inutile de préciser que celui-ci était en désordre, avec ses draps sans-dessus-dessous et ses ouvrages ça et là, et que la chambre le serait tout autant si une domestique n'était pas venue la nettoyer.

Schumann croisa les bras, toujours aussi déconcerté.

- Comment cela se fait-il que tu sois devenu si indolent? Ton père m'a raconté ton voyage en Italie et tu y étais apparemment bien plus dynamique et curieux. Même lors de tes séjours à Paris, il y a cinq ans.

- Quand j'étais plus jeune j'étais naïf.

- Je dirais plutôt qu'avant, tu n'avais pas la notoriété et la fortune de ton cher père pour te guider... par ailleurs, n'as-tu pas des cours à donner à l'opéra? 

- Je ne vais pas nier cela... non, pas aujourd'hui. Je suis tout de même responsable. 

- Si tes élèves te voyaient ainsi...

- Mes élèves tremblent devant mes menaces de punition, ils ne diraient rien. Puis-je lire en paix ou vas-tu continuer à me faire la leçon? 

- Pardon... c'est seulement que je trouve dommage que tu gâches ton talent de cette manière.

- Je ne le gâche pas! Il se ressource. Puis ce livre m'inspirera peut-être pour un nouvel opéra. 

- En voilà une belle excuse. Ton dernier opéra date d'il y a deux ans, tout comme ton dernier concerto. Et ta dernière symphonie remonte à douze ans!

- J'ai commencé une marche funèbre, se défendit-il. Et j'ai fini un oratorio que j'avais commencé il y a deux ans! 

Schumann secoua la tête d'un soupir. Ça ne l'aidait pas.

- Promis, je me reprends au plus vite. Disons, l'année prochaine. J'ai d'autres affaires en ce moment.

- Lesquelles? Tu peux bien composer et diriger l'orchestre en même temps.

- Toi. Je dois m'occuper de toi. De plus je parviens difficilement à débuter une composition sans l'aide de ma sœur, et vu qu'elle me fait la tête car je lui ai volé des siennes, ça ne risque pas de s'arranger.

- Avec toute l'admiration que je te dois, je dois avouer que tu manques parfois de considération. Imagines-tu si je volais les compositions de Clara?

- Ça n'a rien à voir. Tu n'as pas de sœur, tu ne peux pas comprendre.

- Mais je connais la tienne, et je sais que Madame Fanny est bien plus humble que toi. 

- De plus tu es capable d'écrire de si beaux morceaux et si facilement... dit-il d'une petite voix sans l'écouter. 

- Ne commence pas...

- C'est vrai. Tu ne sais pas ce que c'est, de devoir te démener sous les ordres de ton père qui t'a choisi à la place de ta sœur, qui pourtant est bien plus douée que toi.

Son sérieux soudain le surprit. C'est vrai que Meritis ne lui avait jamais vraiment parlé de ses réels ressentiments.

- Que veux-tu dire...?

- Rien. À présent laisse-moi me concentrer, je ne peux lire et converser en même temps.

- Comme tu le souhaites.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now