Soleil

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- Je vais mourir...

- Mais non, Chopinetto. C'est juste une fièvre.

Une énième fois, Chopin était tombé malade, et encore une fois, Liszt devait s'occuper de lui. Il faut dire qu'il lui avait fait toute une scène pour qu'il ne quitte pas ses côtés, même pour aller dans la pièce voisine. Alors voilà, Liszt se retrouvait à rassurer désespérément son compagnon, alors qu'il aurait pu faire tellement de choses plus intéressantes à la place. Non, pas composer, mais aller reluquer- pardon, contempler les jolies femmes au jardin du Luxembourg, par exemple. En ce bel après-midi ensoleillé, c'était l'occasion. En ce bel après-midi estival... il n'y avait que Chopin pour attraper un rhume en plein été.

- Cela pourrait être le typhus, ou... ou la peste! S'inquiéta-t-il.

- Bien sûr... se moqua Liszt.

Tout en regardant le visage du malade, qui était tantôt rouge, tantôt blanc, Liszt continuait de presser le mouchoir imbibé d'eau contre son front. Au bout d'un court instant, il le retira, trempa à nouveau le mouchoir dans l'eau et le passa sur ses joues puis sur tout son visage.

- Cela devrait te rafraîchir un peu.

- Je vois... Je vois la lumière...

- C'est normal, c'est le Soleil. Tu te souviens du Soleil? Il se lève le matin, se couche le soir...

Ce même soleil dont il aurait aimé profiter...

- Cesse de te moquer de moi, grogna Chopin, visiblement agacé de devoir subir les railleries de son compagnon en plus de ses douleurs.

- Tu es si dramatique, aussi. Que ne t'inquiètes-tu pas... C'est seulement une simple fièvre.

- Et toi tu n'as aucune compassion! Comprends que je souffre... D'ailleurs tu ne tombes jamais malade, comment cela se fait-il?! S'insurgea-t-il.

Liszt prit un air fier.

- Lorsque la maladie voit mon talent et ma beauté, elle ne souhaite pas les gâcher et préfère s'éloigner. 

- Bien sûr... j'aurais dû deviner... soupira-t-il, las, en roulant des yeux.

Liszt l'observa, longuement. Il alla lui passer la main dans les cheveux, doux geste qui lui fit fermer les yeux un instant.

- J'ai envie de t'embrasser, Frédéric.

- Tu vas tomber malade.

- Tu as déjà oublié ce que je viens de te dire? La maladie ne m'atteindra pas.

Chopin n'eut rien le temps de répondre que des lèvres se scellèrent aux siennes plus ardemment que jamais. Non, jamais Liszt ne l'avait embrassé ainsi. Ça avait toujours été de simples baisers, tendres. Là... c'était autre chose. C'était bien plus passionnel.

Il le laissa faire, sans doute bien trop longtemps, et finit par le repousser, à bout de souffle. Il voulu lui poser mille questions, mais sa confusion doublée du mal de crâne qui le tressaillit l'empêchèrent d'y réfléchir correctement.

Il se massa les tempes en grimaçant. Il détestait être malade, et Dieu savait que ça lui arrivait souvent. Au moins, Liszt était à ses côtés. Plus qu'être seulement malade, il détestait être seul dans cet état. Cela l'effrayait, même. S'il mourrait, seul, dans l'obscurité? sans personne pour le rassurer? Dans un élan de panique intérieure, il attrapa la main de Liszt, qu'il serra.

Celui-ci dû le prendre comme une invitation, puisqu'il vint lui embrasser le front en serrant sa main en retour.

- Désolé. C'est de te voir si... démuni, je ne sais pourquoi, cela m'attendrit. J'ai envie de prendre soin de toi, mon Chopinetto.

Celui-ci fronça les sourcils, mais se contenta juste de se retourner en silence. Il garda cependant sa main dans la sienne.

- Je déteste que l'on me traite comme un enfant.

"Amantine le fait déjà assez..." aurait-il voulu rajouter.

- Je ne te traite pas comme un enfant. Je te traite comme un malade.

- Alors soigne-moi.

Liszt sourit en coin.

- Très bien... mon corps immunisé va te guérir en un rien de temps!

À ses mots, il abandonna sa chaise de bois et grimpa sur le lit à ses côtés, pour le prendre contre lui comme une peluche. Chopin tenta de le repousser, sans grand succès, déjà affaibli.

- Va-t-en! Premièrement, ce raisonnement est stupide, et deuxièmement, j'ai déjà assez chaud comme cela!

- Il faut juste que tu dormes, et cette maudite fièvre va partir.

- Et cette nausée, ce mal de crâne, ces crampes, vont-ils aussi partir?

- Bien sûr. Le grand Franz Liszt s'occupe de toi, tu ne peux pas guérir plus vite. 

Ce dernier se retourna légèrement pour rattraper le même mouchoir et le tremper dans le bol d'eau. Puis il se remit à le presser sur son visage.

- Peut-être qu'en faisant venir un médecin... proposa Chopin, qui redevenait blanc.

- Non, non. Ne gaspille pas ton argent pour ces bêtises. Je suis là, et je m'occupe de toi.

Chopin prit une grande inspiration.

- Tu as raison... ce n'est qu'une fièvre. Nul raison de s'inquiéter.

- Exactement.

Liszt reposa le mouchoir sans trop y faire attention, et lui embrassa le front, puis les joues, puis les lèvres. Il aurait descendu les siennes à son cou si Chopin ne s'était pas mis à tousser violemment. Liszt s'écarta, à peine alerté, et attrapa un verre d'eau sur la table de nuit qu'il lui donna.

Chopin le but d'une traite. Puis il grimaça. Cela ne le désaltéra même pas, et sa gorge semblait toujours brûler.

Il se recoucha correctement, et se blottit contre Liszt, toussant de nouveau. C'était chaud, mais c'était confortable. Plus confortable qu'il ne se l'imaginait...

Il ferma doucement les yeux. Au moins, ces douleurs ne le suivront pas dans ses rêves. Il crut sentir son compagnon lui caresser les cheveux, mais il était trop ailleurs pour vraiment s'en rendre compte. Il avait si froid, tout d'un coup... Liszt dû le sentir grelotter, car il le couvrit jusqu'au visage de ses couvertures, et resserra son étreinte.

- Repose-toi, mon Chopinetto. Je vais veiller sur ton sommeil, rajouta-t-il d'un sourire.

Il murmura en réponse un "merci" à peine audible.

Liszt posa sa tête sur l'oreiller, et le contempla.

Il pourrait le contempler des heures... bien plus longtemps que n'importe quelle bonne femme dans une jolie robe.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now