Locomotive

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Blandine balançait ses jambes au-dessus du sol, qu'elle fixait, assise sur un tabouret de velours pourpre bien trop haut pour elle.

Elle n'avait pas vraiment compris ce qu'il s'était passé. Elle avait juste mangé, tranquillement, et avait écouté la musique de ce gentil jeune homme qui avait l'air plus attentionné que son père. Et un autre homme l'avait prise dans ses bras, et après avoir parlé tout du long en traversant des rues qu'elle avait observé avec curiosité, l'avait emmenée dans plusieurs lieux remplis de tissus et de vêtements, dont celui-ci dans lequel ils étaient depuis maintenant plus d'une vingtaine de minutes.

Elle releva la tête vers l'homme, qui semblait presque se disputer avec une femme mûre. Tout à l'heure, il lui avait dit qu'il était très exigeant au niveau de son orchestre, que c'était toujours un chaos, lors des répétitions. Elle n'avait pas tout compris, mais apparemment, ça valait aussi pour tous les autres domaines.

- Madame, c'est du bleu paon que je vous demande. Ceci est du bleu canard!

- Je suis navrée, Monsieur, mais ces deux tissus sont de la même couleur...

Elle restait calme, mais ses bras croisés crispés et ses lèvres pincées trahissaient un certain agacement.

- Ah! Peu importe. Montrez-moi plutôt du vert.

- Quel vert?

- Du vert clair. Montrez-moi seulement les robes déjà cousues que vous avez.

La femme jeta un œil à la petite fille, et n'eut même pas besoin de fouiller un tiroir.

- Nous n'avons pas de robe verte à cette taille.

- Rose alors? Ou rouge? Vous n'allez pas me faire croire qu'une enseigne aussi prisée que la vôtre a si peu de robes dans ses tiroirs!

- Les robes pour les petites filles ne sont pas nos priorités. De plus, nous avons déjà beaucoup de commandes venant de l'aristocratie, comprenez que celle d'un homme de votre condition ne sera pas favorisée...

- Que voulez-vous insinuer?!

La femme regarda encore Blandine, qui avait les yeux sur la porte d'entrée.

- Je n'ai pas besoin d'en dire plus. Mais si vous n'avez pas les moyens de laisser cette petite à une nourrice ou une gouvernante, et que vous la laissez vous suivre, vous n'avez sûrement pas l'argent pour acheter l'unes de nos créations.

- Qu'en savez-vous?! Elle a bel et bien une nourrice! Un homme ne peut-il donc pas prendre ses enfants en charge?!

- Monsieur, vous gênez les clients et ceux qui attendent leur tour. Je vous prierai de sortir.

- Un peu que je sors! Et je ne remettrai plus jamais les pieds ici! Allez viens, Blandine.

Il la prit dans ses bras, et quitta le magasin d'un pas vif. Une fois dehors, il la garda ainsi et laissa échapper un soupir, à la fois d'agacement et de soulagement. Les rayons de soleil et leur chaleur leur frappa le visage, tandis que le brouhaha de la rue accaparait leur ouïe.

- Cette femme était une vraie harpie. Ici comme ailleurs, nous ne t'avons pas trouvé de vêtement convenable... je ne suis sans doute pas la meilleure personne pour te vêtir. Il vaudra mieux que ta nourrice s'en occupe. Ta mère n'a pas l'air de vouloir s'acquitter de cette tâche, elle est constamment à Nohant, paraît-il... quant à ton père, n'en parlons pas. Ma pauvre enfant, tu es bien délaissée. Mais ne t'inquiète pas, aujourd'hui, je m'occupe de toi. Ce serait idiot de ne pas dépenser l'argent de Franz, surtout si sa monnaie me revient... je t'offrirais bien à manger, mais tu n'as pas encore toutes tes dents, rit-il. Dis-moi, que te ferait-il plaisir? Voudrais-tu un jouet? Que dirais-tu d'une poupée?

La mélodie des sentimentsDonde viven las historias. Descúbrelo ahora