Quatuor

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Chopin se retourna dans son lit.
Il était enfin seul. Une part de lui en était attristée, car il n'aimait jamais rester seul trop longtemps. Mais une autre en était rassurée, car après cette journée toute entière qu'il avait passé entouré de gens, il n'aspirait qu'à un peu de calme et de solitude.

Car on ne lui avait pas menti : après le voyage et le tumultueux repas, le jour suivant avait effectivement été une longue journée. Et il n'avait eu d'autre choix que de se joindre au groupe, qui avait enchaîné discussions, balades et repas. Une vraie vie de romantique... Il aurait aimé profiter de sa chambre d'hôtel plutôt que de la montagne mais ça n'avait pas été une option.

Et enfin, il était dans son lit, seul après cette journée de torture. Il n'en voulait même pas à son amante. Il savait que c'était ce dont elle avait besoin.

Il inspira profondément, humant l'odeur de bois sec et d'humidité qui, avec le hululement d'un hibou, parvenait à percer la fenêtre à demi-ouverte.

Malgré le - presque - silence, et son confort indéniable dans ce lit aux couvertures épaisses, il ne parvenait pas à tomber dans les bras de Morphée. Il faut dire qu'il n'avait plus vraiment l'habitude de dormir seul, en ce moment. À Paris, il passait ses nuits à partager un lit avec Liszt, et à Nohant, il y avait toujours quelque individu pour rejoindre sa couche, parfois au milieu de la nuit. Peut-être ce manque venait-il de cette routine.

Il serra le bout de l'oreiller entre ses doigts. Fut un temps où il ne quittait jamais les bras de Tytus, et leurs sommeils ne faisaient pas exception... il se demandait comment n'était-il jamais mort étouffé, à enfouir ainsi son visage dans son vêtement, à s'accrocher à lui comme si un mauvais cauchemar pouvait l'en éloigner.

Il huma à nouveau, d'un souffle qui paru davantage être un soupir. Combien de temps cette blessure restera-t-elle en son cœur? À en voir Liszt ou Sand, l'amour était passionné et passager, et une fois terminé, ne laissait plus de traces. Et le voilà qui ressassait un bête amour de jeunesse. Peut-être avaient-ils tous raison, peut-être était-il bien plus sensible et fragile que les autres.

- Mon bel amour, dors-tu?

Il frémit sans sursauter à cette voix doucereuse. Il se retourna, plissant légèrement les yeux, et posa son regard sur la porte, grande ouverte sur sa compagne. Celle-ci la referma doucement, le voyant se redresser, et s'approcha à petits pas de son lit.

- J'espère que je n'ai pas troublé ton sommeil... reprit-elle en y grimpant sans gêne, et en se recouvrant de la couverture.

- Non... je ne parvenais pas à m'endormir. Et toi...?

- Je m'étais endormie, mais Eugène ronfle si fort qu'il m'a réveillée. Toi au moins, tu dors en silence.

Chopin leva les yeux au ciel, et se mit dos à elle. Pourquoi n'était-elle pas venue dormir avec lui en premier lieu?

- Et je ne suis pas vraiment fatiguée... avoua-t-elle en embrassant sa joue et en passant son bras autour de lui.

- Moi si.

Il se demanda pourquoi il redoutait autant de dormir seul, s'il était tout autant ennuyé quand autrui empêchait son sommeil. Il se dit qu'il était paradoxal. Mais après tout, l'Homme est paradoxal. C'est même assez effrayant, lorsqu'une personne est totalement cohérente.

- C'était une bonne journée n'est-ce pas? Nous nous sommes tant amusés. Demain nous devrions en profiter pour faire une autre promenade, avec un pique-nique comme avait proposé François.

- Hm...

Elle s'était tut, mais ce n'était que pour dévier ses lèvres de sa joue à son cou, tout en s'agrippant à lui. Il grimaça, et se tourna vers elle, bien décidé à lui faire comprendre que ce n'était pas le moment. Mais elle fut plus rapide et le prit de court.

La mélodie des sentimentsWhere stories live. Discover now