Comédie

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Chopin baissa les yeux sur sa tasse de thé, qu'il venait de préparer. C'était toujours plus rassurant que l'homme qu'il avait en face de lui. Pas qu'il lui faisait peur, non, au contraire même, il était heureux de le voir. Tant qu'il en était embarrassé.

- J'ai vu les nouvelles partitions que tu avais publiées. Je ne sais plus les lire, mais je me dois tout de même de te souhaiter toutes mes félicitations.

- Je t'en remercie. C'est très aimable.

Il observa autour de lui.

- C'est en tout cas très joli chez toi. Plus que l'appartement que nous avions partagé. Je me souviens que le désordre y régnait.

Il releva ses yeux pour les poser sur Jan, qui portait sa tasse de thé à ses lèvres. Il ne l'avait pas vu depuis des années. Lui qui était revenu le voir à Paris plusieurs fois, après les révoltes de Varsovie. Contrairement à leur ami commun.

- C'est vrai. Je m'en souviens aussi.

- Depuis la dernière fois que je suis venu, tu n'as pas quitté Paris? Ne voudrais-tu pas revenir à Varsovie, à présent que la situation s'y est calmée? Ou bien te réfugier en Allemagne, ça te changerait. C'est là-bas que j'ai fui après les révoltes et ai terminé mon diplôme.

Il baissa à nouveau les yeux. Il y avait, à Varsovie, des personnes à qui il n'osait pas faire face. C'était le cas de la ville entière, à vrai-dire.

- Je suis très bien à Paris. C'est une bonne ville pour les émigrés polonais. En ce qui me concerne, je donne quelques concerts, et ai de bons amis. Et je peux travailler en paix. Je crois que je ne pourrai plus vivre nulle part ailleurs. J'ai ici toute ma vie. Quant à l'Allemagne, je suis allé à Leipzig une fois et durant un jour, et cela m'a suffit. Ou bien c'était mon hôte qui m'était inconvenant, dit-il en se souvenant de cette journée passée à jouer au piano sous les remarques de Mendelssohn.

- Je comprends. Tu as refais ta vie, comme j'avais refait la mienne en Allemagne. Je suis tout de même très heureux d'avoir de tes nouvelles. Ça faisait longtemps. Oh, trois ans, mais pour moi c'est si long! En parlant de nouvelles... en as-tu de Tytus?

Il garda les yeux baissés.

- Non.

- Il doit être occupé.

- Ce n'est plus comme avant. Enfin tu le sais, et je ne veux pas en parler.

Pour la première fois depuis qu'ils s'étaient installés, il but une gorgée de son thé, et jeta un œil par la fenêtre.

Étonnement, Jan ne répondit pas, du moins pas tout de suite, et pas par des paroles auxquelles ils s'attendaient.

- Si j'avais su, j'aurais insisté pour que tu te sépares de lui lorsque cela t'aurait fait moins mal.

- C'est une belle attention amicale, mais c'est trop tard. Et j'ai malgré tout été heureux avec lui... rajouta-t-il d'une voix peu forte, si basse que Jan n'avait sans doute pas attendu.

- Une attention amicale? Voilà un bel euphémisme, dit-il d'un rire ironique.

- Alors tu étais...

- Tu as tout compris. J'étais amoureux de toi à l'époque. Comment ne pas l'être? Tu étais cultivé, curieux, aimable. Et si charmant, si délicat. Tu l'est toujours, même si tu es devenu plus fort. Je crois que je l'étais encore, ces deux ans que nous avons passé ensemble à Paris il y a quelques années, et que je le suis toujours un peu aujourd'hui.

- À vrai-dire, je m'en doutais.

- ...Vraiment?

- Pas au lycée, mais après. Je ne suis pas aussi naïf qu'on le pense. Du moins je ne le suis plus. Et je t'avoue que lorsque tu viens, ivre, pleurer à mon lit que tu regrettes ne pas t'être confessé et que je suis tout pour toi, c'est assez difficile de ne pas comprendre. Enfin, seuls les idiots sont capables de ne percevoir qu'une simple amitié alors que nous avons vécu deux ans ensemble et que tu m'as couvert d'attentions.

Il but une autre gorgée. Ces moments ne rivaliserons tout même pas avec ceux passés à Poturzyn. Sûrement pas même. Il y avait perdu sa tranquillité d'esprit liée à son ignorance qu'il avait préservée jusqu'alors.

- Ah... j'avoue, c'est assez évident... mais je n'en ai vraiment aucun souvenir. Je m'excuse si je t'avais indisposé.

- Ça ne fait rien. J'ai un... ami qui m'en a fait voir des pires.

- Un ami... dois-je comprendre que tu le considères de la même façon dont je te considérais?

- C'est compliqué.

Ils burent tous deux, et un court silence s'ensuivit. Jusqu'à ce qu'il soit brisé par Jan, qui se mit à rire légèrement.

- Tu sais, je pensais que faire ces études de médecine m'aurait éloigné de toi, et que tu serais resté avec Tytus. Le destin joue de jolis tours. Regarde en compagnie de qui tu es aujourd'hui.

Chopin ne répondit pas. Son visage était devenu maussade. Jan le remarqua bien, et posa sa tasse en se levant subitement.

- Mais assez de cette conversation morose. Si avant que je ne parte, nous allions au théâtre, comme nous le faisons tant avant? Voir une comédie. Cela nous mettra de meilleure humeur.

Chopin lui sourit, et posa sa tasse dans sa petite assiette.

- C'est une très bonne idée. 

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant