Felix Meritis

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- "...Je me souviens qu'il a joué des œuvres de Beethoven, Bach, Händel et Weber si misérablement et de manière insatisfaisante, si impure et méconnaissable, que je les aurais entendues jouées par des interprètes médiocres avec plus de plaisir..." Mais ce sont des mots terribles!

- N'est-ce pas!

- Que faites-vous?

Appuyé contre l'encadrement de la porte, Chopin regarda Liszt et Maurice, tous deux assis sur le canapé avec une lettre sous les yeux, qu'ils levèrent aussitôt vers lui.

- Je fais lire à Maurice cette lettre odieuse me concernant que Mendelssohn t'avait envoyé.

- C'est seulement une lettre... déclara-t-il en s'approchant. Elle a pu être écrite avec impulsion. Allons, laissez ça.

- Je voulais seulement lui montrer qu'il était justement tout aussi insupportable à l'écrit qu'en face à face.

- Vous l'avez rencontré?

- Oui, mais il a très vite fui à la grande répartie de Maurice.

- Qu'avez-vous encore fait...

- C'était pour lui rendre cette fois où il avait tenté de me faire peur au jardin du Luxembourg.

- Nous lui avons seulement fait goûter sa propre fourberie.

- Je pensais que votre rivalité s'était atténuée. Pourquoi ne pas être bons amis comme auparavant?

- Je le serais volontiers s'il cessait de m'insulter dans des lettres perfides comme celles-ci et m'admirait comme il le faisait justement auparavant!

- Il y a un juste milieu. Et toi tu es toujours susceptible.

- Bien sûr, toi on ne te fait jamais de mauvaises critiques!

Il jeta un œil à la feuille que le garçon tenait entre les mains.

- Je vois, tu relis cette lettre-ci. Tu sais, il n'y parle pas de toi, mais de ton jeu. Nous en avons déjà parlé.

- Je suis un pianiste renommé. Quand on insulte mon jeu, mon talent, l'on insulte ma personne.

- Sois plutôt heureux de ne pas être évoqué dans la revue de Schumann. Il aurait pu t'y incendier. Ou pire... donner ton nom à l'une de ses compositions...

Il en frissonna.

- Je le comprends ; le pauvre homme, oui, comme je le plains! Il doit supporter la méchanceté de Mendelssohn en permanence, c'est certain que sa frustration se réfugie dans ses écrits.

- Il était très aimable et poli avec moi. Il n'y a qu'avec toi qu'il agit ainsi. Pose-toi des questions.

Liszt afficha un visage outré.

- Excuse-moi? Crois-tu réellement que je sois égoïste au point de ne penser qu'aux critiques mauvaises qu'il répand à mon égard? Ne me réponds pas oui. Sais-tu au moins qu'il a copieusement insulté Hector et ses opéras? Qu'il a critiqué ouvertement la représentation d'un opéra de Richard Wagner après y avoir assisté? Tout cela va avoir des répercussions, je te le dis. Dieu ne laisse jamais un tel péché de haine impuni !

- Tu éxagères vraiment...

- Absolument pas. Il est d'ores est déjà pécheur de par son origine jui... peu importe. Oui, j'exagère peut-être, n'empêche répandre autant de calomnies ne sera pas sans conséquences.

Chopin soupira, et s'éloigna d'eux pour ouvrir pleinement les rideaux.

- Tu sors trop. Fais comme moi, et reste chez toi, à t'occuper de tes affaires sans écouter les bruits qui courent.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant