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Combien de fois l'avait-il écouté jouer?

Combien de fois avait-il contemplé ces doigts caresser les touches, son visage plus sérieux que jamais concentré à ne faire aucune erreur?

Les mélodies, non, les notes, chaque note que Chopin jouait étaient pour lui des sons divins.

Peu importe le morceau, son cœur sensible s'exprimait à travers ses notes. Sa tristesse, sa mélancolie, ses regrets, nombre de sentiments que Liszt connaissaient mais qui ainsi lui paraissaient si confus. À travers les mélodies de Chopin, les sentiments étaient transformés, amplifiés. Du moins était-ce de cette manière que Liszt les ressentait.

Caché derrière les épais et lourds rideaux rouges, ce dernier jeta un œil à la vaste salle. Un public nombreux assistaient à la représentation du pianiste, assis confortablement dans leur fauteuil rouge saillant.

Si certains semblaient émus, la plupart des spectateurs écoutaient le pianiste sans expression apparente. Certains semblaient même ennuyés, voire dormaient. Ceux-ci, Liszt serait bien allé les réveiller d'une claque s'il n'avait pas sa raison et ses manière pour l'en empêcher.

Au lieu de cela, il ferma les yeux. Il écouta le morceau en en savourant chaque note, courte ou longue, aigüe ou grave. Il l'avait pourtant entendu de nombreuses fois. À des répétitions, lors de ces visites chez lui, lors d'autres concerts, privés ou publics. Mais à chaque fois, son cœur exprimant des sentiments différents à travers la musique, et à chaque fois, elles atteignaient le cœur de Liszt.

Parfois, Chopin composait des mélodies, juste pour lui. Des partitions trop compliquées pour qu'il ne les joue lui-même, mais que l'inspiration lui avait dictée. Alors il les lui dédiait, et lui défiait de les jouer. Défi qu'il parvenait toujours à relever.

Il sourit en coin. Si Salieri et Mozart avaient été complémentaires dans l'opposition de leur musique, lui s'opposait à Chopin par la ressemblance des leurs. Et même lorsqu'il reprenait ses morceaux, il les jouait mieux que lui. De constantes batailles, qu'il gagnait toujours, car lui seul y participait.

Les applaudissements du public le sortirent de ses pensées. Son homologue avait terminé de jouer, et il ne s'en était même pas aperçu. Sans doute la musique s'était-elle assez gravée dans son esprit pour qu'il ne l'entende plus s'arrêter.

Bien que tous applaudirent en même temps, Liszt fut persuadé d'avoir applaudi en premier. Il était tenté de rejoindre son collègue, qui s'étant levé de son fauteuil, s'inclinait devant le public qui l'acclamait, mais il savait que sa présence provoquerait des cris d'hystérie de la part de jeunes femmes et dérangerait la salle. Autant s'abstenir, donc, même si c'était difficile.

Il fallu longtemps à la modeste salle de concert pour se vider. L'on discutait, l'on se rhabillait, l'on prenait son temps. Liszt n'y fit pas plus attention que cela : son regard était porté sur Chopin, qui de retour à son piano, rangeait ses partition avec un calme étonnant. Ce calme qui le caractérisait si bien.

Une fois la salle vidée, il s'approcha de lui, et ne pu s'empêcher d'aller l'enlacer. Il entendit à peine Chopin prononcer son nom tandis qu'il logeait son visage dans son cou.

- Franz... Franz!...

Il finit par relever la tête, et le regarder avec des yeux brillants, plein d'admiration et de béatitude. Chopin arborait une expression des plus sérieuses, et pourtant il ne pouvait s'empêcher d'être attendri. Peut-être était-ce ces lèvres fines, ou ce regard déterminé.

- Franz, répéta-t-il, as-tu aimé mon concert? Ai-je bien joué?

- Mieux que la dernière-fois, avoua-t-il avec sincérité. Mais tu joues encore trop lentement.

La mélodie des sentimentsOnde histórias criam vida. Descubra agora