Interlude

33 1 3
                                    

Ce homard, il était calme.

Il ne lui avait pas donné de prénom. Pour quoi faire? Ce n'était pas comme s'il avait pu y répondre.

Il l'avait vu pour la première fois dans un marché. Au milieu des saumons et des truites, il frétillait, ses petites pinces rouge saillant claquant pour attraper quelque chose qui le sortirait de ce cimetière de poissons. Toujours vivant malgré les cadavres aquatiques qui l'entourait, le homard semblait plein de vie et désireux de survie.

Le poète avait plongé son regard dans les petites billes noires de l'animal, et c'était à cet instant que son cœur s'était serré.

Il n'avait pas hésité à aussitôt déverser tout l'argent que contenait son portefeuille pour acheter la pauvre bête et la délivrer de ses ravisseurs.

Enfin libre, celle-ci s'était accroché au bras de l'homme, qui avait décidé de la porter.

Néanmoins, au bout de quelques pas, il s'arrêta. Ce homard était resté si longtemps allongé, sans doute avait-il envie de se dégourdir les pattes!

Mais s'il le laissait au sol, il allait probablement fuir pour retourner à la mer...

Sans réfléchir plus longtemps, le poète s'était hâté d'aller acheter une laisse avec les dernières pièces qui lui restait dans les poches. Une laisse en cuir, fine, qu'il mit aussitôt autour du cou de l'animal une fois sorti du magasin.

Accroupi devant lui, il l'avait complimenté, lui  avait dit combien il était beau, et que s'il restait sage, il l'emmènera voir la mer.

Il s'était levé, s'était remis à marcher, et le homard l'avait suivi comme il l'avait pu, de ses petites pattes rouges et fines bien petites par rapport aux hautes jambes du grand homme.

Le homard était sage et silencieux. C'était un bon animal. Après réflexion, le poète qui avait encore envie de se promener, s'était dit que ce serait une bonne idée de montrer à ses comparses parisiens comme cette bête était brave.

Il avait décidé de l'emmener dans les jardins du Palais-Royal. Là-bas, tous les passants les plus fortunés pourront jalouser sa nouvelle trouvaille.

Le homard, quant à lui, continuait à suivre à sa manière son nouveau maître, qui s'était mis à marcher plus vite.

Une fois au Palais-Royal, le poète s'était mis à sourire, car tous les regards s'étaient tournés vers lui. Sa promenade était des plus tranquilles, jusqu'à ce qu'un importun vienne oser lui demander pourquoi diable il promenait ce homard.

Nerval se retourna, et dit d'une voix à la fois agacée et hautaine :

« En quoi un homard est-il plus ridicule qu'un chien, qu'un chat, qu'une gazelle, qu'un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre ? J'ai le goût des homards, qui sont tranquilles, sérieux, savent les secrets de la mer, n'aboient pas et n'avalent pas la monade des gens comme les chiens, si antipathiques à Goethe, lequel pourtant n'était pas fou. »

Puis il lui avait tourné le dos, espérant que plus aucun imbécile n'irait lui poser une question si stupide.

La mélodie des sentimentsDonde viven las historias. Descúbrelo ahora