Chapitre 1 - La grande réunion

1K 67 16
                                    

Semblable à une lumière égarée au milieu de l'obscurité, le navire fend les eaux calmes et ténébreuses de l'océan Atlantique.
L'immense bateau avance prudemment sous un ciel parsemé de constellations et face aux fortes rafales de vent en provenance de l'Ouest. En cette période de fin d'été et surtout au niveau de l'équateur terrestre, affronter l'océan est une réelle épreuve tant le climat et les vents changent en fonction de leur propre volonté.

Au loin, le son caverneux d'un orage retentit. Seuls les éclairs imprévisibles et flamboyants illuminent le dôme menaçant qui stagne aux larges des côtes africaines. Loin d'être effrayée par cet environnement hostile qui l'entoure, Louisa se tient fièrement à l'avant du paquebot. Les mains scotchées à la rambarde métallique, elle scrute le large et profite de l'air iodé qui envahit pleinement ses sinus.

Mais sous cette sérénité presque convaincante,
Louisa ne cesse de repenser à cette année complètement folle...
Cette année où l'héritage de Del-Orti lui a été légué.
Cette année où, malgré son jeune âge, Louisa devient subitement la plus puissante trafiquante de drogue du continent européen.
Cette année où son ancienne vie s'est définitivement envolée pour faire place à son destin de « Reine d'Europe ». Pensive, Louisa attrape l'anneau de Del-Orti relié par une longue chaîne en or autour de son cou. Elle sourit et relit doucement l'inscription gravée à l'intérieur. « Auri Sacra Fames »

Exécrable faim de l'or... marmonne-t-elle en fixant la chevalière.

Cette année lui peut-être volée sa mère, qui refuse désormais le moindre contact, son frère ainsi que toute son ancienne vie mais cette année lui a aussi énormément donnée.
Des amis exceptionnels, fidèles, qui forment un clan et qui protège tant son intégrité physique que celle de sa famille. Et surtout... de l'argent ! Louisa n'a pas peur de le dire. Elle aime l'argent et fait tout pour augmenter ses bénéfices.
D'ailleurs, depuis que la police a suspendu son mandat de recherche à son encontre et que les autorités française semblent avoir laissé de côté l'explosion du manoir des Balaz, Louisa en a profité pour relancer ALLOS sur le chemin de la gloire.
Quitte à sacrifier sa vie autant que sa rapporte !

Les remous du l'immense navire battant les flots résonnent sous la coque métallique. Les mains collées sur le métal, Louisa ressent toutes les vibrations de l'océan qui traversent son corps de part en part. Sa puissance l'ébahit. Malgré elle, l'océan lui rappelle en permanence le souvenir douloureux de son père et son ignoble meurtre.
Soudain, une main interrompt ses pensées.

Ça va Louisa ? Il fait froid ici, tu devrais rentrer !

La jeune femme sourit légèrement.

Merci André mais après cinq mois passé au sommet des montagnes italiennes, j'ai développé une étonnante résistance au froid. Je suis bien ici...

André, fier d'avoir retrouvé sa forte corpulence après leur longue cavale, s'accoude à la rambarde aux côtés de Louisa pour aussi admirer la voute étoilée.

Le ciel est autant magnifique ici que dans la vallée, dit-il le regard loin.
C'est vrai... mais là-bas le calme régnait en maître. Et je sais que ce bateau arrivera forcément à destination...
—Ça t'angoisse ?
—De quoi ?
L'Afrique. La grande réunion. Les partenaires.
—Oh non... Tu sais, depuis que j'ai assassiné ce policier, plus rien ne m'effraie André. Plus rien. Et pour le coup, c'est cela qui me fait vraiment peur...
Hm... On en a déjà parlé Louisa, tu étais obligé de le faire... Et c'est une bonne chose non ? La peur nous paralyse, nous empêche de penser de manière rationnelle et crois moi je l'ai appris à mes dépends. Se détacher de ses peurs est positif selon moi.
—Moi je vois la peur comme un filtre et lorsque ce filtre se fissure voir même disparaît, plus rien ne parait inconcevable.

André redresse la tête silencieusement.

C'est pour ça que je n'ai pas peur de cette réunion, reprend Louisa. J'en ai rien à cirer de ce qu'ils pensent de moi car c'est eux qui ont besoin de mes navires et de mon entreprise. Alors nous négocierons les prix, un point c'est tout. Pour ALLOS.

André la regarde, grand sourire vissé aux lèvres.

Eh bien... t'en as fais des progrès. C'est exactement ce que je voulais entendre.
—J'ai eu des bons professeurs, répond sarcastiquement Louisa. D'ailleurs, tu as des nouvelles d'Hélène ?
—Aux dernières nouvelles elle est en mission. Et seule Hélène sait ce que Hélène est en train de faire... Ça fait parti de son talent !
—Et Julien ? Ça va ..?
—Il se remet doucement. Il a réintégré la tanière avant-hier. Il ne t'as rien dit ?
—Non.
—Ça va entre vous deux ?

Louisa tourne sa tête d'un air excédé.

André... ne te vexe pas mais tu es la dernière personne sur Terre avec qui je voudrai me confier sur mes sentiments intimes.
—Ah.

Au loin, des petites lumières orangées commencent à apparaître.

On voit les côtes, dit Louisa.
Oui c'est le Cameroun, on devrait arriver au port de Bonny dans quelques heures.
—On transporte quoi ?

André se retourne et fait face à l'imposant porte-conteneur, qui tel un monstre aquatique, semble transporter sa progéniture sur son dos.
Les cargaisons empilées les unes sur les autres, s'entassent par centaine.

La majorité est une commande de concentrés de tomates fourrés à la cocaïne et des cloisons destinées à la construction de maisons avec à l'intérieur un étonnant isolant... des pains de cannabis. Tout cela partira pour l'Asie dans quelques jours.
—Et bien... marmonne Louisa un peu étonné.
Ah ! Et je te rappelle qu'il y aura notre ami Henrique Tavares à la réunion, le chef de la Sombra.
—Super...
—Il t'aime bien je crois.
—Aimé par un psychopathe... J'adore ma nouvelle vie ! rétorque ironiquement Louisa.

André sourit mais semble un peu gêné par sa réflexion.

Tu n'as pas de nouvelles de ta mère ?
—Non. Toujours pas. Elle fait la morte.
—Louisa... Ne coupe pas les ponts. C'est ta mère quand même !
—Et alors ?! Elle ne se rend pas compte que j'ai tout sacrifié pour eux ! Tout ! Mes études, mes amis ! J'ai choisi de me battre pour améliorer la vie de notre famille et venger la mort de mon père et ça, elle ne le comprend pas !
—Voir un policier se faire abattre devant ses yeux, ça n'est facile pour personne... Tu devrais en discuter avec elle. Et avec ton frère.
J'ai quelques contacts avec Jules. Enfin... Il m'envoie des messages lorsqu'il veut de l'argent. Et il sait que je ne veux surtout pas entrer en conflit avec lui, alors je m'exécute.
—Je ne crois pas que ce soit la bonne solution mais bon... Tu gères ta famille comme tu le souhaites. Seule leur sécurité physique m'intéresse, au moindre problème tu viens m'en avertir immédiatement.
—Ne t'inquiète pas André... Ils vont bien.
—Très bien. On devrait rentrer et nous reposer, une longue journée nous attends demain.

Le navire commence à manœuvrer et tourne légèrement à bâbord. Les grincements de la coque frappée par le vent envahissent soudainement tout le pont. Louisa observe, déterminée, les lueurs orangées qui parsèment la côte camerounaise.
Là-bas tout recommence.
ALLOS renaîtra de ses cendres et Louisa devra enfin se montrer à la hauteur de son titre...
La Reine d'Europe.

À LA TÊTE DU CARTEL : IIWhere stories live. Discover now