Chapitre 59 - Vorace

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Le grand portail du palais présidentiel se découpe dés lors que la voiture du lieutenant Bérard se présente à la conciergerie. Sur le perron de l'Elysée, deux gardes républicains ornés de leur costume d'officier, viennent ouvrir la porte à Bérard puis l'accompagnent jusqu'au secrétariat présidentiel. Même en arpentant les couloirs du pouvoir, la colère du lieutenant demeure toujours présente. Toutes ces exécrables dorures, ces lustres en cristaux presque insultants, et ces peintures de maître d'une beauté malsaine qui résonnent avec la grande Histoire de France ne l'intimide pas.
Son désir de réponse est plus fort que tout. Peu importe qu'il s'agisse du président de la République, Bérard obtiendra ce qu'il veut. Après être monté au premier étage du palais présidentiel, une ravissante jeune femme aux traits fins et au chignon très serré, s'extirpe d'un petit bureau et vient à sa rencontre.

Bonjour monsieur Bérard, je suis ravie de vous rencontrer, dit-elle en lui tendant la main.
C'est lieutenant, réplique Bérard froidement. Le président est disponible ?

La jeune secrétaire semble refroidie par son attitude.

Oui, il vous attend dans son bureau, répond-elle avec le même ton cru. Je vous en prie.

La jeune femme ouvre une grande porte en bois sur laquelle est apposée le sceau de la République. Assit derrière son bureau lui donnant l'aura du pouvoir, le président Coty lève les yeux. Il sourit en retirant ses petites lunettes métalliques de son nez.

Bonsoir Lieutenant, je...

Bérard lui coupe instantanément la parole.

Qu'est ce que vous avez fais ?! Vous vous rendez compte des conséquences de votre décision ?!

Interloqué, le président s'enfonce dans sa large chaise en bois.
Immédiatement, son visage se tend tandis que ses larges sourcils marquent son agacement certain.

Lieutenant, dois-je vous rappeler que je suis le putain de président de la République française ? Mes décisions impactent la vie de 66 millions de français dans leur quotidien, alors oui je m'en rend compte du poids de mes choix. Je ne supporte pas ce genre de remarques lieutenant ! Et surtout ce comportement ! Alors si vous avez finis de vous comporter comme une petite pisseuse de cinq ans, je vous offre volontiers un verre et vous explique pourquoi j'ai dû libérer Oléana Thörsen.

Bérard contracte sa mâchoire pour s'empêcher de répliquer avec des mots cinglants. Face au chef des armées et à l'homme le plus puissant de France, il se convainc d'apaiser la discussion.
Il hoche de la tête.

Parfait, répond le président Coty. Maintenant, enlevez votre veste et asseyez-vous.
—Je ne peux pas rester longtemps. Mon équipe m'attend pour continuer le travail.
—Nous sommes raccord sur ce point. J'ai une réunion à préparer avec le président des États-Unis, dit Coty en prenant la direction d'un petit buffet en bois où repose un élégant service à whisky. Tout comme vous, je ne prend jamais de repos.
—Mais contrairement à moi, personne ne vous met de bâtons dans les roues, réplique sèchement Bérard.

Coty rigole et tend un splendide verre en cristal au lieutenant.

Vous semblez avoir une méconnaissance totale du monde politique. Absolument tout le monde m'empêche de faire correctement mon travail. Et je ne pèse pas mes mots lorsque je dis tout le monde. Demain je rencontre cette enflure botoxé de président américain. À votre avis, par pur plaisir ?
—C'est votre job. Monsieur... vous avez ruiné l'occasion unique d'affaiblir ALLOS et la faire disparaître. C'était vos ordres. Personne n'a compris au sein de mon équipe et justifier une telle décision est impossible.

Le président se rassoit derrière son large bureau encombrés de dossiers. Avec délicatesse, il reprend ses petites lunettes.

Je n'ai pas libéré Oléana Thörsen de gaieté de cœur, je peux vous l'assurer lieutenant. Mais derrière cette histoire, se cache des enjeux diplomatiques d'une ampleur phénoménale.
—C'est-à-dire ?

Le président souffle discrètement et boit une gorgée de son succulent vingt-ans d'âge.

De quoi parle-t-on exactement monsieur le président ? insiste Bérard.
On parle de l'indépendance énergétique du pays tout entier.

À son tour, Bérard boit une grande goulée du whisky présidentiel.

Vous ne le savez peut-être pas, mais nos relations avec la Russie sont tendues depuis l'invasion de l'Ukraine. Les prix du gaz ne font qu'augmenter, surtout depuis le début de la guerre et la France suit la position de l'Europe et se positionne en faveur du camp ukrainien. Alors, la réaction du Kremlin a été sans appel. Les prix flambent et nous risquons des pénuries pour l'hiver prochain. Jamais je n'accepterai cela sous mon mandat.
Comment cette Oléana peux avoir un tel poids diplomatique ?
—C'est la digne héritière de Rof Thörsen, le dirigeant de Thor industries, entreprise spécialisée dans les ressources énergétiques. C'est l'homme le plus puissant de Norvège et bientôt d'Europe. Votre intervention à Marseille a déclenché le tonnerre lieutenant et les répercussions sont sans limites...
Mais maintenant on sait qu'Oléana est impliquée dans un trafic avec ALLOS et collabore avec Louisa Conti. J'ai conscience de vos priorités en tant que président, mais vous ne devez pas oublier l'objectif premier de notre collaboration. La fin de ALLOS et de Louisa Conti. Peu importe les désirs d'un milliardaire !
—Cet homme est d'une importance crucial lieutenant, je connais mon métier. Mais mon entrevue avec lui m'a apporté des informations vitales.
—Lesquelles ?
Rof Thörsen déteste Louisa Conti. Il déteste surtout ALLOS et sa haine remonte à longtemps, lorsque Alessio Del-Orti dirigeait l'entreprise. La Norway Arctic est en guerre depuis des mois contre ALLOS et veut reprendre son marché.
—Est-il derrière la mort d'Alessio Del-Orti ?
—Nous le savons pas. Nous avons jamais retrouvé le véhicule qui l'a fauché en plein Paris.

Le lieutenant semble déconcerté par ces propos.

Donc... vous faites des alliances avec des véreux pour combattre des véreux ..? Si ce que vous dîtes est vrai, ALLOS sera mort mais le problème restera le même. Le trafic international sera entre les mains d'un autre monstre, la Norway, et il sera encore plus vorace !

Le président Coty perd soudaine patience.

Je ne veux plus d'ALLOS sur mon territoire, c'est ça mon objectif ! Votre rengaine contre Louisa Conti ne m'intéresse pas ! Vous insistance est poussée par vos émotions et votre haine envers cette gamine ! Encore une fois, cessez de faire votre pisseuse bon sang ! Toute guerre nécessite des alliés et vous devriez le savoir !
—Alors agissez comme un dirigeant honnête ! Et j'arrêterai enfin de faire ma pisseuse !
—Ne me dîtes pas comment faire mon travail lieutenant ! C'est la dernière fois que je vous reprend !

Sans se faire attendre, le lieutenant Bérard dépose avec brutalité son verre sur le bureau présidentiel. Son regard colérique montre sa frustration de ne pas pouvoir répliquer, et sans dire un seul mot de plus, Bérard préfère quitter rapidement le bureau en claquant la porte derrière lui.

À LA TÊTE DU CARTEL : IIWhere stories live. Discover now