Chapitre 94 - Abasourdie

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La cellule s'ouvre.
Hélène, allongée sur son lit bétoneux depuis des jours, ne bouge pas. Poussé jusqu'aux frontières de ses limites, son corps ne peux même plus obéir à son cerveau. Elle reste immobile, allongée comme une malade attendant la mort.
La porte de sa cellule se referme et Hélène entends les pieds d'une chaise glisser au sol.

Vous êtes vivante ?

Hélène ne répond pas. Lentement, elle ouvre un œil pour observer le lieutenant Bérard assit devant elle.

Malgré nos différents et la haine que j'éprouve vis-à-vis de vous et de votre entreprise, je suis venu m'excuser.

Hélène sourit mais reste silencieuse. Bérard l'observe longuement.
Son corps amaigris, sa peau sale, ses cheveux vulgairement coupés au rasoir... aucun détail n'échappe au lieutenant. Sachant la femme qu'était Hélène auparavant, il n'est pas vraiment fier de ce qu'il voit et éprouve presque de la compassion à son égard. Il s'était fixé des limites. Jamais Bérard ne voulais devenir comme eux... comme ALLOS. Utiliser les mêmes manières barbares reviendraient à trahir ses valeurs et son éducation.
Il tend un verre d'eau à Hélène et l'encourage à se relever.

Tenez, buvez un peu.

Hélène s'assoit difficilement sur le bord de son lit et attrape vivement le verre pour en engloutir la totalité. La voyant toujours assoiffée, le lieutenant lui remplit à nouveau. Elle l'engloutit de la même façon mais semble enfin soulager de sa soif.

Je suis désolé Mary-Helen. Je ne voulais pas qu'on en arrive là.

Hélène jette un regard froid au lieutenant.

Pourtant, c'est vous qui m'avez enfermé ici.
—Oui, mais je voulais la justice, la vraie. Pas votre souffrance ou vous laisser pourrir au fond d'un trou comme un vulgaire animal. Je ne suis pas comme vous.
—Vous êtes pire. Au moins, chez ALLOS, on exécute non ennemis sans les laisser souffrir pendant des semaines.
—Vous méritez d'être ici Mary-Helen. Pour le bien de la société et pour vos actes, vous devez vous trouver ici. Mais rien n'excuse votre souffrance.
—J'ai apprecié la visite de votre coéquipier Johnson. Très professionnel, lance Hélène en montrant les traces bleus autour de son cou. Il n'est pas vraiment du même avis que vous concernant la souffrance.

Le souffle de Bérard se coupe.

Bon sang... quel enculé...
—Je vous le fait pas dire. Mais un jour, j'ai espoir de sortir d'ici et de lui montrer mes dons.
—L'officier Johnson est certes un abruti, mais un soldat. Il obéit surtout aux ordres.
—C'est vous qui donnez les ordres, lance amèrement Hélène.

Le lieutenant change d'expression.

Plus maintenant..., dit-il en extirpant un paquet de cigarette de sa poche arrière. Vous en voulez une ?

Hélène accepte volontiers sans trahir son enchantement de pouvoir enfin assouvir son envie de cigarette depuis son enfermement au trou.

Vous vous êtes retiré ?
—J'ai plutôt été remercié, répond Bérard avec aigreur. Le président Coty est un homme complètement con. Il n'a rien compris dans cette guerre. Il n'a rien compris de ALLOS. Et surtout... il n'a jamais compris Louisa Conti...

Hélène sourit en savourant sa cigarette.

Je suppose que vous l'avez encore loupée ? dit-elle malicieusement.

Bérard regarde gravement Hélène. Son sourire disparaît aussitôt.

—Je suis venu ici pour m'excuser mais aussi pour vous annoncer une nouvelle. Dans d'autres circonstances, j'aurais été fier de..
—Crachez le morceau, lance Hélène.

Bérard hésite un court instant mais décide d'être franc.

André et Louisa sont morts. Ils ont été abattus ainsi que tout le cercle des cartels.

Comme lancée dans le vide, en chute libre, Hélène sent son cœur rétrécir.

Vous mentez. Vous me manipulez.
—Un ami m'a transmis le rapport. Le navire sur lequel se déroulait la réunion des cartels a été pris d'assaut par des forces armées. La totalité de son équipage a été tuée et le bateau détruit par un missile aérien. Il n'y a aucun survivant ...

Hélène, toujours en chute libre, subit le choc et reste abasourdie. Elle ne peut pas y croire. Tout son monde vient de disparaître. Elle ne ressent plus rien, même pas la rage ou la colère, juste un vide intersidéral.

Quand ?
—Hier. En fin d'après-midi.
—C'est pour cela que vous m'avez proposé cet accord.
—Quel accord ? Je ne vous ai jamais parlé de quoique ce soit.
—L'officier Johnson m'a proposé un accord pour avoir des informations sur Louisa Conti. Il m'a juré qu'elle serait morte et aujourd'hui, il avait raison. Vous me manipulez.
—Je vous l'ai dit. Je ne suis plus sur l'affaire de ALLOS. J'ai décidé de me retirer après avoir pris connaissance du plan par le président Coty. Cet homme est un barbare sans cerveau. Un barbare à la tête d'un pays et d'une armée... Louisa n'avait aucune chance.

Hélène observe le lieutenant avec dégoût.

Vous vouliez que ça arrive. Depuis le début, vous n'avez rien lâché. Vous vouliez Louisa Conti et aujourd'hui vous voulez me faire croire que vous êtes peiné par sa disparition ?! Arrêtez vos conneries ! Vous êtes comme nous et vous le savez lieutenant...
—Non ! Je ne suis pas un barbare. J'ai toujours respecté les règles ! Toute ma vie ! lance Bérard avec vigueur.
—Et tout ça pour quoi ?! Pour être viré comme un malpropre ? Pour vous êtes rendu compte que les gens pour lesquels vous travaillez, n'étaient qu'en fait des exploiteurs encore pire que nous ?! Vous avez perdu votre âme lieutenant et vous le savez. Envoyez un missile sur une jeune femme est le comble de la lâcheté et de la barbarie. Louisa, du haut de ses 21 ans, a eu le courage de tuer son ennemi de ses propres main.

Bérard reste silencieux, frappé par les mots d'Hélène.

Vous avez semé le chaos en détruisant le cercle. L'anarchie va régner dans les cartels et vous en subirez les conséquences.
—Je le sais. Je connais les répercussions de cette terrible décision et j'ai prévu le président Coty. Il n'a pas voulu m'écouter...

Bérard se lève de sa chaise.

—Je ne suis pas ici pour me repentir. Je voulais simplement vous prévenir car vous avez le droit de savoir. ALLOS est mort.
—Comment avez-vous su ?
—Je vous l'ai dit. Un ami m'a transmis le rapport de...
—Non pas ça. Comme avez-vous obtenu l'information du lieu et du jour de la réunion ? L'organisation du cercle est bien rôdée et il est quasiment impossible de connaître à l'avance des détails aussi précis.
—Le président Coty a manifestement été aidé, rétorque Bérard.
Par qui ? Vous avez la liste des membres ?

Bérard s'avance et cogne à la porte de la cellule.

Comme je vous l'ai dit, je ne suis plus sur l'affaire. Désolé... Je vous souhaite une bonne vie Mary Helen.

Le verrou s'enclenche et Bérard quitte rapidement la cellule sans se retourner. Hélène reste assise, ébêtée, encore en état de choc. Elle se rallonge sur son lit froid et tombe en sanglots.
ALLOS est mort.

À LA TÊTE DU CARTEL : IIWhere stories live. Discover now