Chapitre 21 - Jusqu'au bout

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Comme une gerbe projetée au hasard sur les murs de la pièce, le salon russe est parsemé de fleurs imprimées aussi kitch les unes que les autres. D'affreuses représentations de roses et tulipes ornent les rideaux, les tapis, les tapisseries, les plafonds, et même le tissus du mobilier en bois. Au fond de la pièce, de grandes fenêtres anciennes se hissent jusqu'au plafond et sont frappées si ardemment par le vent glacial de l'extérieur, qu'elles semblent pouvoir céder n'importe quand. En pénétrant à l'intérieur, Louisa hausse les sourcils tellement le style russe post guerre-froide est atroce.
Fort heureusement, un puissant feu de cheminée réchauffe l'ambiance et Henrique Tavares accompagné de Zaklov, sirotent tranquillement un verre face au foyer.

Bonsoir, dit Louisa en déboutonnant sa grosse veste.
Ah Louisa, justement nous parlions de toi ! s'exclame Henrique en se levant vigoureusement.
En bien j'espère, rétorque la Reine d'Europe.

Zaklov, d'une élégance incomparable, remet correctement sa cravate avant de s'abaisser lentement en avant et baiser la main de Louisa en signe d'affection.
Son visage pâle agrémenté d'un regard bleu perçant lui donne l'apparence d'un dieu celtique, avec néanmoins quelques discrètes rides qui trahissent son âge avancé. Ses cheveux poivre et sel soigneusement tirés en arrière et sa large montre en or massif, respectent les codes du dirigeant mafieux à la perfection. Cet homme qui semble froid et antipathique au premier abord, se révèle être doté d'une grande chaleur humaine.

Mademoiselle Conti, merci de votre venue.
—Merci à vous Zaklov pour cette invitation, et appelez moi Louisa je vous en prie. Personnellement, je dois vous dire que cet endroit me laisse dubitatif... Que fait-on ici ?

Zaklov sourit vivement.
Il passe une main dans ses magnifiques cheveux et prend la direction du mini-bar.

Vous avez raison d'être perplexe et j'aime votre rapidité dans les affaires, je n'ai eu que des bons retours de vous de la part d'Henrique.

Zaklov attrape un verre.

Martini sec, c'est bien ça ? propose-t-il.
Oui, avec plaisir, répond Louisa surprise qu'il connaisse sa boisson favorite.

On frappe soudainement à la porte.

Ah ! Cela doit être nos dernières invités, reprend Zaklov. Entrez je vous en prie !

Aussitôt, deux élégantes femmes pénètrent à l'intérieur du salon kitch. Par la quantité pharamineuse de papiers qu'elles transportent dans leurs bras, Louisa se souvient les avoir aperçu à la grande réunion de Bonny. Leur physique de femmes sévères mais avec une pointe de fatalité imposent le respect et vu de plus près, Louisa remarque qu'il s'agit enfaite de deux sœurs jumelles. Elles sont parfaitement identiques. Chignon soigneusement tiré sur la tête, maquillage sombre et tailleurs de marque parfaitement ajustés, seule la couleur des cheveux différencie ces deux jumelles identiques.
Toutes les deux s'avancent dans une synchronisation quasi-parfaite.

Rosy, Luna, je suis ravie de vous revoir ! proclame Zaklov.

Chacune ont aussi droit au fameux baiser de main. 

Bonjour Zaklov, comment-vas-tu depuis Bonny ?
—Très bien Luna, merci. Mais comme tu peux le voir, j'ai beaucoup réfléchie. Et je crois avoir une stratégie.
—Sers moi un verre avant de parler de stratégie, s'exclame l'autre sœur aux cheveux blonds.
Bien-sûr Rosy, vodka frappée comme d'habitude, répond Zaklov. Oh et voici Louisa, vous l'avez aperçu à la réunion du Cameroun.

Louisa salue poliment les deux canadiennes, un peu intimidée par ces deux femmes de caractère.

Enchanté, je suis Louisa dirigeante de ALLOS.

Rosy, la jumelle blonde qui semble avoir l'ascendant sur cette étrange fratrie, empoigne vigoureusement sa main.

Oh oui évidemment que je te connais, je suis enchantée Louisa. 

Son eye-liner aux couleurs charbonneuses enrobe ses yeux et procure à son regard une profondeur dans laquelle Louisa se retrouve subitement plongée. Rosy semble aussi subjuguée par la jeune dirigeante de ALLOS et ne relâche pas sa main.

J'ai adoré ta réaction à la réunion de Bonny. Tu t'es pas démonté face à la Norway Arctic et tu as tenu tête à la rejeton de Rof Thorsen ! Tout les autres lui bouffe déjà dans la main, j'ai horreur de ça ! Moi aussi, tout comme toi, j'avais envie d'hurler à m'arracher la gorge !
—Attendez... vous connaissez Oléana Thörsen ? demande Louisa avec surprise.
Je ne la connais pas personnellement mais son père, oui. Nous avons le même âge et sa réputation dans le milieu des affaires le suit de près. Il est immonde et je n'apprécie pas qu'il intègre le cercle des cartels...

Louisa ressent une énergie chez cette Rosy, une force presque hypnotique qu'elle ne peut expliquer.

Immonde ?! Tu es bien gentille ma sœur ! s'exclame Luna. Je te rappelle qu'il a tué sa propre épouse en la traînant derrière sa voiture comme un vulgaire gibier. La malheureuse a eu le culot de vouloir protéger sa fille durant l'une de ses crises de rage et après l'avoir enchaîné par le cou, Rof Thörsen a roulé pendant des heures dans les jardins de son manoir ! Même son personnel a pris la fuite après ce terrible événement et ont décider de quitter cet homme cruel et sans coeur. Mais quand on a de l'argent, la justice est différente... On connaît tous la chanson.
—C'est bien vrai. Et si ce barbare intègre notre milieu, je pense que les problèmes s'enchaîneront, réagit Henrique. C'est pas bon pour nos affaires, ça nous concerne tous.
Mon dieu... dit Louisa dégoûtée. Mais en quoi je peux être utile ? Sincèrement, je ne comprends pas vraiment ma présence ici.
—Parce que vous êtes en guerre Louisa et croyez moi, dans cette guerre vous aurez besoin d'alliés, proclame Zaklov avec solennité. Pour la survie d'ALLOS, mais surtout pour votre propre sécurité. Vous êtes en train de combattre la Norway Arctic et Rof Thorsen ne va rien lâcher avant de pouvoir vous éradiquer. Mais nous serons derrière vous.

Louisa sent le poids des responsabilités s'effondrer sur ses épaules. Désormais, elle devient la cible d'un milliardaire psychopathe dépourvu de sentiments humains et déterminé à la voir disparaître. Cependant, elle se doit de rester sereine face à ses quatre puissants dirigeants qui la fixent avec intensité. Le monde des apparences est bien plus redoutable que celui des cartels.
Elle demeure debout, silencieuse, pendant un cours laps de temps. Ses pensées fulminent. Mais subitement, comme touchée par une décharge électrique, elle avale cul-sec son martini.

Alors, allons y. Menons cette guerre jusqu'au bout.

À LA TÊTE DU CARTEL : IIWhere stories live. Discover now