À LA TÊTE DU CARTEL : II

Chapitre 23 - Négociations

Une bonne plâtrée de viande en sauce accompagnée de juteuses pommes de terre et betteraves coupées en rondelles vient se déposer devant Louisa. Tandis que les vapeurs fumantes de la bonne nourriture envahissent la pièce, dehors le fracas glacial semble se déchaîner. Les bourrasques de vent froid s'accentuent au fur à mesure que la nuit avance, tandis que les fenêtres dans une synchronisation presque parfaite,vibrent sous la force brute du Nord.
Deux jeunes serveurs s'activent autour de la tablée des quatre dirigeants. L'accueil de Zaklov est divin. Servies sur une longue table en bois massif, des spécialités de chaque pays sont déposées par le personnel. Des petits amuses-bouches mexicains, du vin français d'une délicatesse incomparable, un plat traditionnel russe et un dessert aux couleurs du Canada, rien n'a été laissé au hasard pour satisfaire le moindre des désirs de ses invités. Zaklov est un homme classe et d'une certaine éducation que l'on qualifierai aujourd'hui « d'old school » mais toujours très appréciée.

—Mon Dieu Zaklov ! s'exclame Rosy. Même perdu au fond de la Sibérie, ton repas est exquis !
—C'est bien vrai mon ami, tu t'es encore une fois surpassé, réagit Henrique en savourant sa viande en sauce.
—Merci, j'ai fais venir les meilleurs produits et mes meilleurs cuisiniers pour vous satisfaire. C'est toujours agréable de parler business le ventre plein.

Louisa ingurgite sans interruption plusieurs verres de vin et enchaine les petites tapas mexicaines. Sa frénésie alimentaire cache un stress certain. En face d'elle, la ravissante Luna semble avoir le même attrait pour la boisson et enchaine les verres sans interruption.

—Votre vin est...
—Merveilleusement français, rétorque Zaklov tandis qu'un serveur lui remplit à nouveau le sien. Le terroir français est incroyable, c'est fabuleux.

Henrique s'essuie la bouche et en homme bien viril, tape violemment des deux poing sur la table.

—Bon ! On s'est bien remplit la panse, maintenant on discute business !

Luna finit son verre d'une traite, enjouée à l'idée de discuter affaire.

—Oui ! Tu as raison mon ami ! Alors, comment fait-on pour contourner la Norway Arctic ?
—La contourner ? s'interroge Louisa.
—Je vous explique les détails Louisa, dit Zaklov en s'essuyant avec distinction la bouche. La Sibérie est un point stratégique pour moi et le Canada. Mais pour que nos marchandises rejoignent l'Europe et notamment la France, nous devons longer les côtes norvégiennes. Nos bateaux se retrouvent alors dans les eaux territoriales de Norvège et depuis l'arrivée de la Norway Arctic, des problèmes sont survenus...
—Quel genre de problème ?
—Des navires « égarés », des attaques sur certaines de nos conteneurs et étrangement, toujours ceux qui contenaient de la drogue, des diamants ou même des contrefaçons.
—Exactement ! réagit rudement Luna. Ma soeur et moi sommes spécialisées dans les contrefaçons de grandes marques de vêtements mais aussi d'électroménagers, de voitures, de téléphones et depuis l'arrivée de la Norway Arctic, nous avons enregistrés une perte de 20% sur nos bénéfices ! Il y a beaucoup de vols !

Louisa reste dubitative.

—Et qu'est ce qui vous fait dire que la Norway Arctic est coupable ?
—Je connais Röf Thorsen et c'est exactement ses manières d'agir, rétorque Zaklov. Aux gouttes à gouttes, il affaiblit la concurrence en attaquant leurs marchandises puis d'un seul coup, venu de nul part, il s'immisce dans le business pour asséner le coup fatal.
—L'année dernière, deux navires de ALLOS ont été coulé à Marseille... C'était signé la Norway, dit Louisa avec aigreur.
—Oui je me souviens de cette affaire. Cela avait fait la une des médias en France. Mais vous avez aussitôt réagis en neutralisant les Balaz ! Bon sang ! Vous avez plus de courage que nous trois réunit !
—Mon équipe m'a beaucoup aidé, mes collaborateurs sont exceptionnels. Quel est votre plan ?

Henrique pose les deux coudes sur la table et regarde profondément Louisa dans les yeux. Ses breloques dorés autour de son cou baigne presque dans son assiette remplie de viande.

—Tu as des entrepôts en Islande non ?
—Il me semble. Les islandais sont spécialisés dans les faux-médicaments et collaborent avec ALLOS pour distribuer leur marchandise partout en Europe. Un port clandestin a été construit au Nord de l'île et des échanges se font avec Le Havre.
—C'est parfait ! Et vous pensez que nos navires peuvent y accoster ? Cela nous permettrait d'éviter les eaux norvégiennes et empêcher la main mise de la Norway sur nos marchandises, dit Rosy en se servant une grande part de gâteau au sirop d'érable.
—Tout est possible, rétorque Louisa. Si vous payez.
—Évidemment mais soyons clairs, votre proposition à la grande réunion du Cameroun de vous verser 10% sur tout nos bénéfices, c'est hors de question, réagit crûment Zaklov.
—Oui Louisa, si nous devenons vos alliés dans cette guerre, vous devez nous avantager, ajoute Rosy.

Louisa fronce les sourcils.

—Je comprends votre point de vue mais qu'est ce que j'ai a gagné dans votre histoire ?
—Des clients et une protection supplémentaire.
—Je n'ai pas besoin de protection, réplique immédiatement Louisa. ALLOS est un groupe armé et nous avons tout les équipements nécessaires pour nous défendre.

Zaklov sourit grandement en regardant Rosy.

—Bon dieu... Del-Orti vous a bien choisi ! Quand on parle de protection c'est par rapport aux liens que vous devez entretenir avec la concurrence. Ajay, le chef de la grande réunion, est un proche de Röf Thorsen et il peut s'opposer à vous. Mais en aucun cas il peut s'opposer à nous quatre. Comme dans la politique, le milieu des cartels est aussi fait de diplomatie. Louisa, vous ne pouvez pas agir en permanence dans la violence !
—Oui Louisa, surtout après l'affaire du manoir des Balaz je vous signale que vous êtes traqués par toutes les polices du continent. Vous avez de la chance qu'ils n'ont pas diffusé votre visage dans la presse.
—Et toi Henrique ? Tu gagnes quoi dans cette histoire ? Tu n'es pas concerné par la Norway Arctic, toutes tes marchandises traversent l'Atlantique ou le Pacifique mais aucun cas les Mers du Nord !
—J'exècre Röf Thorsen et je sens le vent tourner. Je préfère m'allier à vous plutôt que d'observer les problèmes prendre de l'ampleur.

Louisa fait tournoyer le vin dans son verre. André lui a toujours conseiller de prendre son temps lorsqu'un choix est difficile à faire. Elle réfléchit aux conséquences de sa prise de décision sur ALLOS mais aussi sur ses collaborateurs. S'allier de manière brutale à d'autres cartels pourrait lui nuire et donner une excuse supplémentaire à la Norway Arctic pour accentuer leurs attaques.
Mais Louisa reconnaît que ne rien faire, signifie se soumettre à Oléana Thorsen.

—Disons 8% des bénéfices, dit-elle le regard franc.
—6%, réplique aussitôt Rosy.
—7%, réagit Louisa.
—Pour nous mettre d'accord, disons 6,5% des bénéfices. C'est d'accord pour vous Louisa ? demande Zaklov avec un talent certain en négociations.

Henrique fait un signe de tête discret à Louisa.

—C'est d'accord, dit-elle en finissant son verre.
—À la bonne heure ! scande Zaklov en levant son verre. Trinquons tous à notre nouveau partenariat !

Louisa, Zaklov, Henrique, Rosy et Luna se lèvent en chœur de leurs chaises et joignent leur verre au centre de la tablée.

—À la Reine d'Europe ! scande Zaklov avec solennité.
—À la Reine d'Europe ! répondent ensemble les dirigeants de cartel tandis que Louisa, flattée, sourit allègrement.