Chapitre 75 - Lever du jour

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Le clapotis des vagues est le seul murmure de la nature vivante, baignante dans la vallée. Depuis les hauts sommets, là où les étoiles semblent caresser l'horizon, une brume fraîche tombe en cascade sur les flans rocheux tandis que les arbres restent immobiles dans la nuit.
Dans le silence des montagnes italiennes, une petite lumière glisse le long de la vallée. Solidement maintenue, la petite lanterne virevolte dans tous les sens tellement le chemin est chaotique. Mais André reste calme. Fort heureusement pour lui, la lumière reste assez vivace et lui permet de se rapprocher de la petite maisonnette de Del-Orti. Il sourit lorsqu'il aperçoit un filet de fumée s'échapper de la cheminée.

J'en étais sûr...

André accélère le pas.
Malgré la pente difficile, il prend tout les risques pour atteindre rapidement le palier du cabanon. Il ne prend pas la peine de frapper, sachant pertinemment qu'il a déjà été remarqué et ouvre la porte en bois.

Tu es là... dit-il doucement.

Louisa reste immobile, mais son visage stoïque ne montre aucune émotion, aucune surprise.

Tu en as mis du temps, réplique-t-elle en tisonnant le petit feu d'où des étincelles jaillissent sous les coups de son bâton.
Je voulais te laisser du temps...

André s'approche lentement du feu pour se réchauffer. Il observe Louisa, amaigrie, les yeux cernés, le teint blême et les cheveux coupés courts soigneusement dissimulés sous un bonnet de laine. Il peine à reconnaître Louisa tellement son physique semble avoir vieillit d'une décennie.

Ça fait combien de temps que tu es dans la vallée ?
—Environ deux semaines, répond-elle. J'ai voyagé entre l'Afrique et l'Asie puis j'ai décidé de rentrer à la maison...
—Ce n'est pas vraiment ta maison ici...

Louisa sert un whisky à André.

Je n'ai plus de maison, réplique Louisa en lui tendant son verre. Je n'ai plus de famille, plus d'amis, plus de travail... Je n'ai plus rien.
—Ne dis pas ça. Tu as encore des personnes qui croient en toi Louisa. Sinon, je ne serai pas là...

Louisa s'emmitoufle dans une couverture sur le canapé, un verre entre les mains, et attrape son paquet de cigarette.

Pourquoi ? demande-t-elle les lèvres pincées.
Pourquoi quoi ?
—Pourquoi tu continues de croire en moi ? Je ne t'ai pas écouté, je t'ai même méprisé. J'ai provoqué la faillite de ALLOS et je me suis mis toute l'équipe à dos. Hélène croupit dans une prison inconnue, Julien n'a même pas essayé de me contacter et Loup a préféré et regagner le front en Ukraine pour anéantir les russes... C'est compréhensible d'ailleurs... Et enfin, je suis devenue une meurtrière de masse... Tu as vu les images André... ? Bordel ! Pourquoi tu continues d'être derrière moi ?!

Louisa, les mains tremblantes, peine à contenir sa colère. Une colère dirigée contre elle-même... Une colère dévorante, cannibale et cruelle.

Ma haine et ma rage envers Oléana et la Norway m'ont aveuglé... J'ai assassiné des centaines de personnes et provoqué l'une des crises environnementales la plus grave d'Europe !

Louisa boit son whisky avec aigreur.

La reine d'Europe... tu parles... Une reine protège son territoire ! Elle protège son royaume ! Moi je l'ai anéantis !
—Louisa... tu ne peux pas te noyer dans les remords... Tout a été trop vite... La Norway t'a attaqué frontalement et logiquement tu as pensé qu'agir de la même manière était la bonne solution. Même les meilleurs dirigeants font des erreurs. Et ces erreurs nous font évoluer, nous font grandir pour être meilleur. Malgré ce que tu peux penser, ALLOS n'est pas en faillite. L'entreprise est simplement en sommeil. Julien est toujours dans la tanière et veille à ce qu'ALLOS reste dans l'ombre des autorités. Et je suis persuadé qu'Hélène va bien ! J'en suis sûr même !

Louisa sourit à l'optimisme de son équipier.

Cela faisait longtemps que je ne t'avais plus vu sourire... dit André à s'asseyant à ses côtés.

Louisa, avec tendresse, penche la tête sur son épaule.

Tu m'as manqué aussi... dit-elle tendrement.

Dans la chaleur réconfortante du chalet, André et Louisa restent immobile et fixent l'hypnotique feu de cheminée.

Je vais mourir André...
—Quoi ? Pourquoi dis-tu cela ?
—Quand tout le monde aura compris que je suis la seule responsable, que va-t-il se passer selon toi ? Le monde est à mes trousses... J'ai passé des semaines devant les actualités et j'ai vu absolument tout les reportages sur la marée noire que j'ai provoqué... Lorsque le monde sera que Louisa Conti a provoqué ce désastre, il voudra m'anéantir !
—Tu n'en sais rien.
—La Norway veux ma peau et je suis persuadé que Rof Thorsen à convaincu le chef des cartels que j'étais l'unique responsable. Ajay doit être en train d'ameuter des troupes contre moi... Et ensuite, le président français ainsi que le lieutenant Bérard... ne me lâcheront jamais... Et quand la Russie apprendra que j'ai terni leur image en pleine guerre contre l'Ukraine... les services secrets russes vont pas être tendre avec moi.
—Effectivement... C'est bien possible, dit André avec inquiétude.

Louisa sourit.

Au moins, tu as toujours ton honnêteté légendaire. Mais je suis vraiment dans la merde..
—Tu as raison Louisa. Tu es dans la merde. Nous sommes dans la merde. Il faut que tu remontes la pente, reprenne les rênes de ALLOS et le contrôle de ton empire. Tu le dois, non seulement pour toi, mais pour ton équipe et Del-Orti.
—Je n'ai plus la force André... Je ne peux pas repartir de zéro...
—Mais je ne te demande pas ça. Je demande à la Reine d'Europe de reprendre le contrôle de son royaume.

Louisa se sert un nouveau verre. Ses doigts maigres peinent à attraper la bouteille.

Le monde est à tes trousses Louisa. Montre lui que tu n'as pas peur.
—Mais je suis terrifiée André ! réplique durement Louisa. Je me suis même interdit de voir mon frère pour sa sécurité ! Je sais que mes jours sont comptés ! Je ne suis pas cette fille forte et courageuse que tu désires tant voir ! Je ne suis pas comme toi ! Je ne suis pas Del-Orti !
—Tu es mieux Louisa ! Tu n'es plus cette jeune étudiante que j'ai kidnappé ! Tu es comme ton père ! Intarissable, intraitable, inarrêtable.

Louisa se referme à l'évocation de son père. Son regard se plonge dans le foyer ardent, illuminant son visage pensif.

Comme quoi.. comme si tout était écrit... comme si mon histoire n'était qu'un roman dont on connaîtrai déjà la fin avant de l'avoir lu.. Je reproduis les erreurs du passé. Mon père, dont j'ai tant voulu comprendre les raisons de sa disparition, m'a mené à ma propre mort. Ma mère m'avait pourtant averti...

André sert les dents puis vient attraper la main de Louisa.

Je suis désolé... je n'aurai jamais dû te cacher tant de choses sur ton père et son rôle dans ALLOS. Mais... même pour un homme expérimenté comme moi, il est difficile de reconnaître ses erreurs. Surtout quand elles impactent la vie des personnes que l'on aime...

Louisa sourit, car c'est bien la première fois qu'André s'exprime avec une telle sincérité émotionnelle.

Je t'aime aussi André...
—Merci mais j'espère que tu me pardonneras...
—Pourquoi devrai-je te pardonner ? Tu es mon pilier, mon soutien indéfectible depuis le début. C'est plutôt moi qui doit te demander pardon.

André finit d'une traite son verre puis se lève du canapé.

Louisa.. si tu désires reprendre le contrôle de ta vie et connaître enfin la vérité sur ton père, fais tes affaires. Nous partons au lever du jour.
—Où allons-nous ?
—Chez Del-Orti... susurre gravement André.

À LA TÊTE DU CARTEL : IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant