Quand les loups se mangent entre eux

Chapitre 1 - Cette nuit tout commence (Partie 1)

1854

Phinéus, mon vieil ami.

Dans ma dernière lettre, je te parlais des soucis que me cause mon fils.

Comment réussit-il à être si brillant d'une part et à se comporter comme un parfait imbécile de l'autre ?

J'aime cet enfant, tu le sais et il me donne tant de raison d'être fier de lui. La façon dont il s'occupe de nos biens depuis les sept dernières années est admirable. Je n'ai jamais été très doué pour tout ce qui touche à la gestion des choses bassement matérielles (cette pauvre Noémie ne l'était pas davantage). Malgré cette si piètre ascendance, il a su parfaitement faire fructifier notre argent. J'aurais largement (comme il me le demande sans cesse) de quoi refaire du sol au plafond ma vieille masure. C'est l'envie qui me manque je suppose. L'énergie aussi.

Et c'est mon garçon, quelle ironie, qui m'épuise surtout. Il oublie la partie la plus importante de son héritage, comme s'il n'était question que d'argent, de terres, de propriétés ! C'est ma faute. Je le sais bien ! Joshua désavoue complètement ce pan de sa vie. Je veux dire qu'il sait qu'il existe, comment le nier ? Mais il a décidé depuis la mort de sa sœur, ma pauvre chérie, que cela ne le concernait plus. Dieu sait pourtant qu'agir de cette façon est de la folie. Je pensais le ramener à la raison avec du temps et de la patience, mais cela ne marche pas. Il est si têtu que s'en serait comique s'il n'était pas question de la continuité de notre lignée.

De surcroît, il est depuis quelques temps en relation avec la veuve d'un baron, ancienne actrice, qui est d'une très grande beauté, cela je ne peux le contester. Loin de moi l'idée de croire qu'il serait assez irréfléchi pour vouloir l'épouser, mais les fiançailles entre ta fille et lui date de plus de dix ans et ils ne se sont encore jamais rencontrés, il pourrait très bien se dire qu'il ne s'agit en rien d'une chose sérieuse et si par malheur ses sentiments allaient croissant envers cette Mannings, va savoir de quoi il serait capable. La jeunesse et la passion donnent des mélanges des plus explosifs.

Il faut donc absolument que nos petits se marient. Je me fais vieux. Le temps glisse sur les Harispe comme l'eau sur les plumes d'un canard mais je ne peux pas en dire autant. J'aimerai connaître mes petits enfants avant d'entreprendre mon dernier voyage, et je ne veux surtout pas les devoir à cette...femme. Tu sais que je ne suis pas un homme obtus mais j'ai fait mener une petite enquête à son sujet par mon régisseur vois-tu ? Et ce qu'il m'a appris ne me plaît guère.

Bien sûr Cassandre a peut-être envie d'autre chose que d'épouser mon âne bâté de fils. Je ne pourrais pas le lui reprocher, elle a peut-être elle aussi de tendres penchants pour un jeune homme bien plus censé et moins confit de tares héréditaire que mon Joshua.

Mais dis-moi que ce n'est pas le cas ! J'ai toujours rêvé de voir nos enfants mariés !

Je prends donc une initiative.

J'organise le voyage jusqu'à Churbedley pour toute ta famille. Et cela aura même l'avantage de changer les idées de ton fils de voyager un peu.

Ils s'entendront si bien lui et Joshua, nous avions presque le même âge lorsque nous nous sommes rencontrés et s'ils deviennent beaux-frères comme je l'espère de tour mon cœur leur amitié n'en sera que plus forte.

Accepte je t'en prie, je sais que mes petites manigances feront beaucoup de chambardements mais cela fait si longtemps que nous ne nous sommes pas vus.

Même si nos enfants ne se plaisent pas et rejettent au feu toute idée d'union, au moins profitons de notre amitié et de notre compagnie tant que nous ne sommes pas encore complètement grabataires.