Chapitre 79 (Partie 3 )

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Arcas tendit la main et caressa la tête de Cerby qui s'était blotti contre lui pour se protéger du froid. Le crépuscule était gris et l'air glacé. Cet hiver paraissait sans fin et Arcas commençait à croire que jamais on ne verrait de nouvel été sur cette péninsule. Autant dire que l'idée que lui avait soufflé Bosquet de quitter l'armée prenait une saveur particulièrement attrayante alors qu'il se gelait les fesses au beau milieu de nulle-part. Dissimulé derrière l'essieu brisé d'un canon, le jeune homme guettait la plaine en contre-bas à la recherche de signes de vie depuis un long moment, sans résultat.

– Il n'y a que nous deux qui soyons assez givrés pour faire le pied de grue dans ce coin paumé mon gros, murmura-t-il à son chien qui ne trouvait pas l'expérience plus agréable que lui.

Seulement ils n'avaient guère eu le choix.

Une escouade de reconnaissance de soldats français était manquante à l'appel depuis plus de deux jours. Le colonel Darmain, fidèle à son idée fixe de pourrir l'existence de Harispe d'Arlon, lui avait donné l'ordre de retrouver la dizaine d'hommes et de les renvoyer au camp manu militari s'il le fallait. Ils y recevraient une sérieuse punition pour ne pas s'être présentés en temps et en heure alors qu'ils devaient rendre leur rapport de mission.

Arlon avait dans l'idée que ces hommes seraient chanceux de pouvoir encore être punis.

Il avait suivi leurs traces sur une bonne quinzaine de kilomètres avant d'arriver où il était actuellement. Il se tenait en surplomb d'une zone recouverte d'arbustes épineux suffisamment épais pour l'empêcher de voir le sol. L'endroit idéal s'il vous prenait l'envie de tendre une embuscade à... disons... quelques soldats français trop sûrs d'eux. Naturellement les empreintes de ses compatriotes s'y dirigeaient tout droit.

Il n'avait pas particulièrement envie de grossir les rangs des imprudents pour une fois.

Il jura entre ses dents.

Il ne pourrait pas rentrer ce soir car il allait devoir attendre la nuit noire pour se risquer sur cette zone dangereuse en toute sécurité.

Diana allait s'inquiéter et devrait rejoindre leur maison avec les enfants sans escorte, alors qu'on comptait chaque jour plus d'incidents que la veille.

Puisque Arcas avait encore une bonne demi-heure à patienter avant qu'il puisse continuer son chemin, il prit le temps de se rassurer.

Il laissa son esprit voler jusqu'à Spider qui à cet instant, couchée bien au chaud près d'une cheminée suivait Jimmy et Toula du regard. Ils aidaient à servir des repas chauds à des soldats, qui dans la salle à manger bondée de l'auberge profitaient de l'hospitalité de Mary Seacole. Malgré une telle fréquentation, on pouvait être certain d'une chose, ce n'est pas son établissement qui permettrait à cette brave dame de faire fortune. Elle faisait crédit à la plupart des hommes qui passaient sa porte. Ils la rembourseraient dans quelques temps et avec plaisir prétendaient-ils... si seulement ils survivaient à cette guerre.

Rien n'était moins sûr.

Jimmy pestait en slalomant entre les tables, dès qu'on lui demandait une autre bière, un supplément de ragoût, un autre bol de soupe. Le pauvre gamin ne savait plus où donner de la tête. On lui avait donné comme mission de surveiller les alentours pas de servir la popote à des soudards grouillants de puces se plaignait-il à haute voix, déclenchant les rires des visiteurs ou quelques claques derrière les oreilles.

Spider laissa le galopin se débattre avec son désespoir, se leva et rejoint le dispensaire à l'étage. Diana s'y activait. Elle passait d'un lit à l'autre. Les malades gémissaient, râlaient, appelaient à l'aide. Le beau visage de la baronne était recouvert de sueur et elle paraissait désemparée face à ce supplice de Sisyphe.

Quand les loups se mangent entre euxWhere stories live. Discover now