Chapitre 16 - Un rollier parmi les pigeons

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Debout au milieu d'un groupe de femmes vêtues avec austérité, se tenait la demoiselle au parfum le plus enchanteur qu'Arcas n'eut jamais croisée. Un ravissant rollier entouré de ternes pigeons. Une robe aux chatoyantes teintes de lavande, d'indigo passementée de turquoise, mettait en valeur une petite silhouette voluptueuse et délicate qui faisait voguer son imagination vers des territoires un peu trop lascifs pour un début d'après-midi.

Comme un papillon de nuit attiré par une flamme, il se faufila à grandes enjambées entre les cabestans, les cheminées du bateau à vapeur, les caisses qui s'amoncelaient sur le pont et franchit sans même y réfléchir l'obstacle que formait quelques soldats qui assis au sol jouaient aux dés, ce qui lui valut quelques noms d'oiseaux. Il n'y avait qu'un français pour ne pas respecter ce qu'il y avait de plus sacré dans ce monde.

Il ignora royalement ces hommes. Pour tout dire, c'est à peine s'il était encore conscient qu'il y avait d'autres êtres humains à l'exception d'eux deux sur ce vaisseau. Son enchanteresse s'était tournée vers lui et enfin il croisa son regard envoûtant d'un violet profond. Il illuminait un visage pâle en forme de cœur. Ses cheveux d'un noir luisant étaient tirés dans un chignon strict, recouvert d'une sage coiffe de dentelle qui l'attendrit. Pourquoi ? Il aurait été incapable de le dire.

Il refusait de détourner les yeux, même de ciller de peur qu'elle ne disparaisse dans un nuage de fumée.

Il dut s'arrêter cependant lorsqu'il rencontra une infranchissable barricade.

Une voix lointaine semblait lui parvenir assourdie par une brume épaisse de senteurs, de flash lumineux, de sensations nouvelles.

– Capitaine ! Je tiens à vous prévenir : aucun badinage ne sera toléré, disait la voix.

Il était groggy, comme après une chute de cheval et incapable de se détourner de cette adorable jeune femme aux yeux mauve. L'esprit du baron mis un long moment à retrouver ses capacités de réflexion. Il baissa alors la tête sur une minuscule dame qui lui fit l'effet d'un arbuste racorni. C'est elle qui lui avait parlé et faisait barrage de sa petite, mais solide personne.

– Je suis lieutenant Madame, la reprit Arcas d'un ton mécanique.

– Mademoiselle !

Il sentait poindre une migraine, il n'était pas en état de réfléchir.

– Je suis Mademoiselle Badmington et je le répète monsieur aucun badinage ne sera toléré.

– Mademoiselle, essayez-vous donc de me tenter ? Ne put s'empêcher de dire Arcas. Il lui décrocha un sourire éclatant qui fit furieusement rougir la vieille fille, qui finalement chancela la main sur le cœur dans un geste des plus mélodramatiques. Il n'avait pas pu s'en empêcher, la réplique lui était sorti tout à trac.

– Je ne parlais pas de nous ! Mais entre les soldats et les infirmières voyons ! C'était dit dans une idée générale, déclara la demoiselle sur le retour.

Elle s'éventa avec fureur.

Ne s'était-il pas juré deux minutes plus tôt de ne plus aller au-devant de ce genre d'ennui et de faire preuve de finesse. Chasser le naturel et il revenait au galop, mais c'était si tentant de se jouer un peu de cette caricature vivante de la vieille demoiselle anglaise confite en bien-pensance. Cependant si elle avait su parfaitement conserver sa vertu, ce n'était pas par rectitude morale mais seulement faute d'adversaire. Arcas le sentit immédiatement, mais il y avait quelque chose d'amusant chez elle, une fantaisie sous-jacente qui pourrait faire d'elle une compagne plaisante.

– Pas de badinage, je comprends. Même si vous me brisez le cœur Mademoiselle Badmington. Cependant vous vous êtes mépris sur mes intentions. Je venais juste saluer des dames. En tout bien tout honneur. Ainsi vous êtes infirmières ?

– Nous faisons partie d'un groupe de volontaires formées par Miss Florence Nightingale pour venir en aide aux soldats. Nous sommes l'avant-garde de notre unité.

– Une bien noble mission. Je ne crains pas de vous remercier d'avance au nom de tous les soldats qui auront la chance de croiser votre chemin. Chance n'est peut-être pas le mot qui convient quand on pense à une blessure au combat. Même si je l'avoue la perspective de reposer entre vos mains délicates, mesdames, donne à la chose un attrait que je n'aurais pas cru possible.

La remarque fut accueillie par une cascade de rires coquets.

– Je me présente, je suis le lieutenant Arcas Harispe d'Arlon. Pour vous servir mesdames.

Il n'osait se tourner à nouveau vers la jeune femme qui occupait ses pensées, mais son parfum le rendait presque ivre, incapable de réfléchir à ce qu'il disait, il était sûr de raconter une énormité par tranche de dix secondes. Il regretterait cette conversation, il en était sûr.

– Vous êtes français ! S'horrifia alors Miss Badmington.

– Absolument.

– Que faites-vous ici ?

– Vous êtes bien curieuse jeune demoiselle.

– Je ne pense pas que Miss Badmington ait eu envie d'être indiscrète, déclara la magnifique jeune femme d'une voix qui lui parut douce comme de la soie. Décidément tout chez elle le charmait.

– Il n'y a pas de mal, ce n'est pas un secret d'état. Ma sœur vient tout juste de se marier à un comte anglais, j'ai passé quelque temps dans votre beau pays. On m'a simplement proposé de profiter du transport pour rejoindre mon régiment. J'en suis ravi, d'autant que la compagnie promet d'être délicieuse.

Il y eu un concert de gloussements autour de lui. Il avait le vague sentiment de se tenir au milieu d'une basse-cour.

– C'est un soulagement que nos deux nations soient alliées dans ce conflit. Cela facilite grandement la paix familiale en ce qui me concerne.

– Mrs Cabell doit partager votre avis, c'est une de vos compatriotes, lui expliqua une autre dame de l'assistance qui secouait son éventail comme s'ils se trouvaient au beau milieu de la pire canicule du siècle.

Arcas se figea et un goût de cendre lui monta dans la bouche. Madame, ainsi elle était mariée pensa-t-il. Cela lui provoqua des élancements douloureux dans la poitrine.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant