Chapitre 56 - la bataille de Balaklava (partie1)

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25 octobre 1854

Au petit matin Arcas se réveilla au son des canons qui résonnait dans le lointain. Il ouvrit les yeux et mis un court instant à se souvenir qu'il était en Crimée, dans son camp militaire, sous sa tente.

Une très jolie tente soit dit en passant. Il en avait fait l'acquisition auprès d'un marchand ottoman. C'était un modèle pittoresque et spacieux, couleur bleu de mer au toit pointu. Un lit de camp à sa taille y tenait largement, ainsi qu'un petit bureau pliant, une cantine et un poêle en fonte qu'il s'était procuré lors de son escale stambouliote*. L'hiver approchait à grands pas et il avait entendu dire par les gens du cru, que contrairement aux idées préconçues des occidentaux pour qui l'orient ne pouvait être que chaleur étouffante et douceur languide, le froid sur les bords de la Mer Noire avait de quoi vous faire regretter les pires frimas français. Il avait par ailleurs investi dans un plancher de bois et des tapis de laine épaisse qui couvraient une partie du sol mais qu'il avait aussi tendus sur les parois. Il avait planté sa guitoune à l'abri d'un promontoire rocheux et l'avait tourné de telle façon qu'à travers les pans ouverts il puisse voir à l'est le lever de lune. Arlon avait aussi mis en pratique ce qu'il avait noté dans son petit carnet. Il avait gravé une série de symboles sur les piquets de tente, ainsi que sur des pierres qu'il avait disposées à l'extérieur. Enfin il avait acheté des herbes et d'autres ingrédients qu'il avait suspendus à son plafond. Si on lui posait des questions au sujet de son étrange sens de la décoration, il se contentait de dire qu'il s'agissait d'ingrédients pour la soupe. Que certaines de ces plantes soient potentiellement mortelles ne fit tiquer personne. Il était dans un camp militaire pas dans une réunion de botanistes amateurs.

Il se leva et se frotta vigoureusement le visage, son sang pulsait puissamment dans ses veines. Cette nuit la lune serait pleine et malgré les potions, il sentait monter ce terrible besoin de courir, de chasser... de tuer.

Mais rien n'était censé différencier ce jour des précédents.

Jusqu'à présent il n'avait pas vu l'ombre d'un combat.

Il n'était pas le seul qui commençait à trouver le temps long. La cavalerie anglaise, dont la fameuse Brigade légère piaffait d'aller au feu et de faire ses preuves. L'infanterie ainsi que les forces françaises qui avaient eu l'occasion de combattre durant la bataille de l'Alma, il y a presque un mois, s'étaient mis à se moquer cordialement de leur inaction... et de leur potentiel manque de courage.

Mais les choses allaient peut-être changer.

Les coups de canons qui faisaient trembler les collines le laissaient présager.

Arcas sauta sur le dos de son cheval alors que le soleil pointait à peine. Avec sa brigade de près de 150 hommes commandés par le général d'Allonville, il devait rejoindre le plateau de Sapouné qui bordait la vallée de Balaklava où les états-majors alliés avaient dressé leurs camps de base. La ville portuaire du même nom, à l'embouchure de la rivière, permettait l'approvisionnement des soldats britanniques et avait donc une importance primordiale.

 La ville portuaire du même nom, à l'embouchure de la rivière, permettait l'approvisionnement des soldats britanniques et avait donc une importance primordiale

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Les généraux français, Canrobert et Bosquet s'étaient rendus sur les lieux dès l'aube.

Les chasseurs d'Afrique avaient parcouru rapidement la vingtaine de kilomètres qui les séparait de la zone des combats mais lorsqu'ils arrivèrent, ils furent témoins d'un spectacle qui les sidéra.

Arlon n'en revenait pas. Là, juste derrière les tentes, il découvrit des touristes ! Des touristes anglais ! Il en avait entendu parler mais jusqu'à présent n'en avait pas croisé un et avait refusé de croire que qui que ce soit puisse être assez stupide pour aller volontairement sur les lieux d'une guerre, tout cela pour profiter du spectacle de deux armées s'étripant l'une l'autre. Ils avaient rejoint la péninsule de Crimée au bord de luxueux yachts, suivant l'exemple de Lord Cardigan qui refusait de faire une croix sur son confort dût-il mener une guerre. Seulement. Lui avait l'excuse d'être le major-général de la brigade légère et avait sa place ici contrairement à cette bande de...

Ces civils avaient étendu des couvertures au sol et pique-niquaient devant le panorama qui s'offrait à eux. Ils étaient particulièrement enthousiastes lorsqu'ils parlaient de la "ligne rouge".

Le jeune lieutenant finit par comprendre qu'il parlait d'un événement arrivé plus tôt dans la matinée.

Le régiment d'infanterie le plus proche était le 93ème Highlander du major-général Colin Campbell qui était au sortir de la nuit le seul rempart entre les russes, Balaklava, sa population, son navire hôpital, ses entrepôts de nourritures et fournitures de l'armée.                    

Ils avaient courageusement repoussé, peu avant l'arrivée d'Arcas et sa brigade, une charge de la cavalerie russe en se déployant en une longue ligne de deux rangs au lieu des quatre réglementaires

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Ils avaient courageusement repoussé, peu avant l'arrivée d'Arcas et sa brigade, une charge de la cavalerie russe en se déployant en une longue ligne de deux rangs au lieu des quatre réglementaires. Cela avait semble-t-il marqué les esprits et ces vacanciers inconscients fêtaient l'événement à grand renfort de champagne.

Pour le meneur de loups cela avait comme un goût de décadence. Il pensa à cette légende disant que l'empereur Néron déclamait de la poésie devant le Grand Incendie de Rome en l'an 64. Ces gens étaient là, à manger, boire et rire. Alors que plus bas des hommes gisaient, fauchés, éventrés, broyés par des boulets de canons. Une bouffée de rage le saisit et les choses auraient certainement mal tournées si d'Allonville ne lui avait pas demandé de le suivre.

Il secoua la tête pour se sortir de cet état de colère meurtrière et s'éloigna après avoir lancé un regard qui fit se ratatiner sur eux-mêmes les touristes qui le croisèrent.

Il accompagna avec d'autres officiers, son supérieur auprès du général Bosquet qui leur fit un court compte rendu des faits.

*Stambouliote : d'Istanbul 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant