Chapitre 28 - Le bureau de poste de Cattown

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Cassandre s'accorda enfin une balade à cheval.

Elle avait subi plusieurs attaques. Elle se rassurait en se disant qu'au moins, tant qu'elle en était la victime, les serviteurs avaient la paix et pouvaient effectuer leur travail sans prétendre vivre dans une demeure hantée. Bien sûr le château était hanté. Mais ils n'étaient pas censés le savoir et encore moins y croire.

En attendant elle courait le risque de se rompre le cou à chaque instant. Elle assurait donc chacun de ses pas et n'empruntait les escaliers que lorsque c'était absolument nécessaire. Elle étudiait le grimoire des Blake en espérant trouver de quoi éloigner cet esprit vindicatif... pour l'instant en vain. Le comte tentait lui aussi de mettre au point une formule ou une amulette. Cela lui demanderait du temps lui avait-il dit. À elle de rester en vie jusque-là.

Scamandre se sentait délaissé et menaçait de détruire les écuries à grands coups de sabots.

Pour le bien de tous, ils devaient prendre l'air tous les deux.

Elle sentit son cœur s'alléger dès qu'elle franchit l'enceinte de la maison. Elle lança son cheval au petit galop. Artie courait autour de sa maîtresse en aboyant gaiement. Elle aussi souffrait de l'ambiance de Churbedley, elle était sans cesse sur le qui-vive et essayait de protéger Cassandre avec abnégation. Pour l'instant, elle s'amusait, sautait dans les herbes de hautes et chassait les papillons. La jeune mariée alla saluer quelques fermiers qui lui offraient de s'asseoir un moment et partageaient avec elle des anecdotes amusantes sur la région, les habitants du coin et quelques-unes sur les Blake.

La journée avançait, elle décida de se rendre au bureau de Poste. Elle avait peu d'espoir de déjà recevoir une lettre d'Arcas qui attendrait sûrement d'être arrivé en Crimée, correctement installé et elle, morte d'inquiétude, avant de daigner envoyer des nouvelles. Mais elle était presque certaine d'en avoir au moins une de Gaëlle qui avait promis de la tenir au courant de ses recherches patrimoniales. Peut-être y en aurait-il aussi une de Brogan qui devait lui écrire s'il avait du nouveau sur les hommes en noirs.

Arrivée en ville, elle confia Scamandre au forgeron, Mr Blair. Il lança un regard appréciateur à la bête, ce qui était flatteur puisqu'il était expert lui avait dit le comte. Il n'en faisait pas étalage, car cela pouvait être mal vu, mais sa grand-mère était tzigane. "Ces gens-là s'y connaissent en chevaux," lui avait soutenu son beau-père. Évidemment lorsqu'il y avait un vol dans la région, le pauvre homme, avait droit à son lot de regards de travers et de rumeurs mensongères. Cassandre se sentit en empathie avec cet homme. Pas besoin d'être un meneur de loups pour être le mouton noir du pays.

Elle poussa la porte du bureau de poste. Il était vide. Il y planait dans l'air une odeur d'encaustique, d'encre et en arrière-plan un vague parfum d'ammoniaque et de plantes qui lui fit plisser le nez, Artie qui s'était sagement assise à ses pieds éternua. Tout était méticuleusement rangé, les liasses de papiers, parallèles au rebord de la table, parallèles aux crayons, parallèles au dossier de la chaise...

On devait sérieusement s'ennuyer ici.

Au bruit de la clochette, Mr Baker sortit de son bureau attenant et glissa sa silhouette silencieuse le long du comptoir après un signe de tête en se caressant la barbe, il la dévisagea de son regard noir. Elle trouvait cet homme souverainement dérangeant. Elle finit par demander son courrier. Elle tapa du pied pour marquer son impatience devant son manque d'enthousiasme.

– Les chiens ne sont pas autorisés ici Lady Blake, finit-il par dire

– Vous m'en direz tant. Je prends le courrier du château et je m'en vais.

– Les chiens ne sont pas autorisés ici Lady Blake, dit-il encore de la même voix monocorde et sifflante.

– Raison de plus pour aller vite.

Elle cogna le comptoir de l'index avec suffisamment de force pour faire trembler le verre de la lampe à huile qui y était posé.

Il daigna finalement faire son travail. Il lui donnait ses lettres une à une, en prenant son temps. Cassandre ressentait l'envie grandissante de lui broyer le crâne, elle mais prit sur elle et tenta de l'ignorer en détaillant ce qu'il lui avait déjà donné, il y avait des missives pour les serviteurs qu'elle avait appris à connaître au cours des dernières semaines. Le petit George avait une lettre du Devon de sa mère visiblement. Le grand Georges aussi, mais sa mère ne vivait pas à Gloucester, ne devait pas écrire sur du papier rose et se parfumer au lilas.

Une à une les messages s'empilaient. Jamais elle ne l'aurait avoué à haute voix mais elle fut déçue de ne pas reconnaître l'écriture énergique de Joshua. Il pourrait se donner au moins la peine d'écrire à son père, de lui dire que son trajet s'était passé sans encombre, de donner des nouvelles de Londres, mais rien venant de ce sinistre butor. Elle devrait peut-être lui envoyer un message où elle l'abreuverait d'insultes colorées ? Ou alors lui raconter en détail la vie de Churbedley et le faire culpabiliser d'être absent ? C'était indigne ! C'était tentant.

Madame Stampton, poussa la porte de l'office, la clochette carillonna furieusement. Cassandre se souvenait parfaitement de l'impertinence suintant du tonneau de fiel qui lui servait de carcasse. Elle se rappelait de ses allusions à peine voilées, soutenant que si Cassandre avait pu devenir l'épouse d'un honorable gentleman anglais, c'était certainement car son père avait menacé la pauvre famille Blake en jouant sur la corde d'une dette de vie de Monsieur le comte. Ou une chose de ce genre. Allez savoir ce qu'un cerveau de folle conspirationniste pouvait imaginer.

La vieille rombière s'engouffra dans le bureau de poste comme un navire amiral rentrant au port après une victoire. Elle détailla Cassandre de haut en bas et fit un abominable bruit de bouche.

Elle considérait lady Blake avec autant de bienveillance que si elle était une tâche sur l'ourlet de sa robe.

Pour Cassandre qui comptait sur cette sortie pour se détendre, il était impensable de rester une seconde de plus en présence de cette horrible bonne femme.

Elle arracha des mains de Mr Baker la liasse de lettres qu'il ne lui avait pas encore données.

– Elles sont pour nous je suppose ?

Il hocha lentement la tête.

– Bonne journée à vous, se força-t-elle à lancer avant de partir à la tortue anémique de Cattown et au HMS Stampton.

S'il ne tenait qu'à elle, elle enverrait ce glorieux navire à la recherche du passage du nord-ouest comme le HMS Terror et Le HMS Erebus quelques années plus tôt en espérant qu'il subirait le même destin, disparaissant sans doute à tout jamais.

Artie lui lança un regard navré quand un rire sinistre lui sorti de la gorge. Cette petite est complètement secouée semblait-elle penser.

Son courrier dans les grandes poches de sa jupe, elle prit une respiration profonde.

Artie furetait le long des bâtiments et puisqu'elle n'avait aucun but particulier et qu'elle ne voulait pas vraiment rentrer à Churbdley, Cassandre se décida à la suivre. Elle finit par tourner à droite et toutes deux débouchèrent dans une cour, qui avait dû être celle d'un ancien corps de ferme, réhabilitée en petits appartements. Sans être la misère abyssale que l'on pouvait voir à Londres, ou dans toutes les grandes cités, réceptacles de l'infortune humaine du monde, on ne se trouvait clairement pas dans la partie cossue de Cattown.

Alors que la petite ville affichait une image proprette digne d'une image d'Épinal, il régnait ici une ambiance délétère. Cassandre y vit une sorte de symbolisme, un appel à se méfier des apparences. Certaines fenêtres étaient bien propres et ornées de rideaux immaculés mais elles étaient rares et formaient d'étranges éclats épars au milieu de la crasse, sous le ciel plombé du Gloucestershire. Ah la riante campagne anglaise !

Elle en était à se dire qu'Artie avait été attirée ici par l'odeur d'une colonie de rats installée dans le tas d'immondices qui trônait dans un coin, quand elle devina un corps couché tout près.

Elle eut un pincement au cœur. Vue dans quel état il était, le cadavre devait être là depuis un bon moment. Mais alors qu'elle s'apprêtait à saisir Artie qui refusait de quitter cette cour par le collier, elle entendit une faible plainte. Elle s'approcha et croisa le regard vitreux de la malheureuse créature.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant