Chapitre 50

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25 septembre 1854

À Scutari, Constantinople.

Je n'ai pas pu poster ma lettre. Brogan m'a conseillé dans le dernier courrier que j'ai reçu de sa part, d'attendre son envoyé pour lui confier mes missives en directions de l'Angleterre. Je suppose qu'il a déjà partager son inquiétude avec toi. Il a des raisons de croire que nous sommes espionnés. Je ne discute pas. Je suis un homme nouveau dont le nom est Prudent. Tu souris ? Tu mets en doute ma résolution ? Sœur indigne que tu es !

Je continue ma lettre tout de même, je ne suis pas rancunier et il faut absolument que je te parle de ÇA.

Cassandre retint son souffle allait-elle enfin savoir qui était cette fameuse Diana !

Rends-toi compte sœurette, j'ai loupé de peu une grande bataille sur les rives de l'Alma, tout près de Sébastopol.

Peste ! La guerre ! La guerre ! Arcas n'avait toujours eu que ce mot là à la bouche.

Notre vaisseau a jeté l'ancre sur les rives du Bosphore, à Scutari, un quartier de la ville de Constantinople où les britanniques ont installé un hôpital. C'est là que nous devons laisser nos aimables infirmières pour ensuite continuer notre route afin de rejoindre l'autre rive de la mer Noire. Certains officiers dont moi-même, avons décidé d'escorter ces dames afin qu'elles n'aient pas à parcourir les rues de cette ville étrangère sans protection.

Et j'ai débarqué en orient.

Comment te décrire cet endroit ? « Si je n'avais qu'un seul regard à poser sur le monde ce serait sur Istanbul », disait Lamartine. Aujourd'hui je le comprends même si j'ai du mal à saisir pourquoi cette ville a tant de noms.

Chose intéressante, la cité est infestée de chiens, eux-mêmes infestés de puces. Tu n'as jamais rien vu de tel. Les turcs les traitent avec bienveillance, mais ils n'appartiennent à personnes, ils errent sans maîtres dans les "mahalle", les quartiers de la ville, vivant de la compassion des habitants. Quand j'interrogeais un jeune garçon à ce sujet, il me cita un proverbe de chez eux « Ils ont une bouche, pas de langue », il faut donc protéger ceux qui n'ont pas la faculté de se plaindre. Mais imagine ce que l'un d'entre NOUS pourrait faire ici.

Quand nous arrivâmes à l'hôpital, j'ai pensé rebrousser chemin. Même de l'extérieur, l'odeur nous prit à la gorge. Je t'épargnerais les détails.

Et malgré l'autorisation de Sidney Herbert, le secrétaire d'État à la guerre britannique, on ne peut pas dire que l'accueil ait été cordial envers ces dames. Pourtant, quand nous sommes arrivés sur les lieux, nous avons vu à quel point les malades étaient négligés. La faute évidente en revient au manque de soignants. Ces imbéciles d'officiers devraient se réjouir de recevoir de l'aide d'un personnel compétent !

Seulement : "ils ne peuvent cautionner le fait d'exposer des dames à la grossièreté des soldats et à la trivialité des hôpitaux militaire", dixit une espèce de commandant bouffi d'orgueil et de loukoums.

Mais Miss Badmington, la cheffe de cette petite troupe courageuse ne s'en laisse pas conter et a pris les choses en main. Et sans que je ne sache comment, j'ai été recruté (bien malgré moi) pour aider jusqu'au départ dans quelques jours du HMS Ménélas pour les lieux des combats.

J'ai fait la rencontre d'un zouave blessé à la jambe : Duvert. Lorsqu'il a vu que je portais l'uniforme du quatrième régiment des chasseurs d'Afrique, il m'a attrapé par le bras et m'a forcé à m'asseoir près de lui.

– J'en ai assez de ces roastbeefs avec leur : Indeed ! What else? What he says? Je veux une petite causette dans une langue qui ne ressemble pas à un miaulement de chat qu'on égorge.

Sa conversation était à sens unique. Le bonhomme s'était lancé dans la description de cette fameuse bataille à laquelle je n'ai pas pu participer :

Les troupes alliées étaient descendues des navires sans rencontrer de résistance. La petite ville Eupatoria s'était rendue sans combattre. Ses habitants étant conscient de ne pas faire le poids contre cette armée qui débarquait. C'était un spectacle étrange car les voitures, les charrettes, ne cessaient pas leurs va-et-vient des champs, aux villages. Le travail continuait. C'est la saison des moissons et les céréales ne vont pas se récolter seuls et les bottes de fourrages se faire d'elles-mêmes.

Durant les quelques jours nécessaires à l'installation d'un contingent d'une telle importance, aucune troupe russe ne se montra, à l'exception de quelques cavaliers qui guettaient les mouvements des soldats alliés. Grâce à de rapides bateaux à vapeur qui avaient pu remonter le cours du fleuve, nos états-majors savaient pourtant qu'un nombre considérable d'hommes du tsar se trouvaient au sud de l'Alma.

Pendant que je t'écris, je me demande une chose Cassie ? Pourquoi n'ont-ils pas attaqué pour désorganiser le débarquement ? Il aurait suffi de peu de chose pour semer le chaos. Un chaos qui aurait pu leur donner un avantage considérable. Sur le flanc gauche, il y avait des soldats anglais sans expérience qui n'avaient jamais participé à aucune guerre. Si les russes avaient envoyé un bataillon de cosaques sur eux, ils auraient pu être décimés. Duvert me raconte par ailleurs que la réputation terrible des cosaques est largement surfaite.

Nous gardons le souvenir cuisant de la terreur qu'avait provoqué ces hommes. En 1812, ils poursuivirent sans relâche la grande armée de Napoléon Ier, alors qu'il fuyait avec ses troupes l'impitoyable hiver russe. Les survivants ramenèrent dans leurs mémoires des histoires sanglantes, les cosaques n'étaient pas des êtres humains à leurs yeux, mais des croquemitaines drapés dans les frimas de novembre.

Aujourd'hui, on dit qu'il suffirait d'un bâton pour en jeter un à terre et le faire prisonnier. Je me méfie de ce genre de rumeurs, je ne pense pas que les russes aient envoyé en éclaireurs leurs meilleurs hommes. De plus les soldats sont prêts à se raconter n'importe quoi pour se donner du courage.

Un jeune caporal anglais, Higgins, occupait le lit de camp à la droite du zouave, il ne parlait pas le français, mais avait bien saisi de quoi Duvert m'entretenait et il me décrit ce qu'il s'était passé dans le camp britannique.

Quand les loups se mangent entre euxWhere stories live. Discover now