Chapitre 43 - Dans la grande galerie

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Cela faisait à présent quelques semaines que Cassandre avait adopté Hadès.

Depuis, il s'était considérablement remplumé, même s'il ressemblait toujours à un grand paillasson ambulant avec ses poils gris hirsutes qui poussaient de manière anarchique.

Les habitants de Churbedley qui l'avaient pris en pitié, l'avaient tous adopté dès qu'il avait été débarrassé de la vermine qui le recouvrait et de son odeur nauséabonde. Cassandre surprenait souvent Ronald, le majordome, sortir de sa poche une friandise mise de côté pour lui, il n'était pas le seul à lui donner à manger en cachette d'ailleurs et il y avait fort à parier que ce chien finirait obèse si elle ne veillait pas au grain. Mais pour l'instant, il avait encore beaucoup de marge, alors elle laissait faire ; la pauvre bête avait surtout besoin de tendresse et de réapprendre à faire confiance aux humains.

Dès qu'il en avait eu la force, il avait quitté son panier et avait commencé à suivre sa sauveuse. Il trottait sur ses grandes pattes de sa démarche sautillante et dégingandée partout où elle allait et dès qu'il en avait l'occasion, il se collait à elle à la recherche de son contact rassurant. En échange d'une tape sur la tête, il lui offrait des regards chargés d'amour et de reconnaissance.

Artie soupirait bruyamment devant ce spectacle. "Voyons ! Un peu de tenue" semblait-elle lui dire. Mais il n'en avait cure et la chienne n'avait le droit qu'à de grands coups de langues en échanges de ses remontrances et autres grognements réprobateurs. Depuis quelques jours, elle se baladait en quasi permanence avec une iroquoise rousse de guingois collée de salive sur le sommet du crâne.

– Ça te donne un certain style, lui avait affirmé Cassandre.

Mais visiblement, elle appréciait peu les velléités de coiffeur d'Hadès dont elle était la victime et supportait stoïquement de se faire régulièrement nettoyer la tête à grandes eaux.

À l'heure actuelle les deux chiens avaient été toiletté de frais et regardaient leur maîtresse avec incompréhension.

Qu'était-elle en train de faire ?

Hadès pensait que ce devait être un de ces étranges jeux d'humains. Après tout, il s'agissait de créatures bizarres qui ne se comportaient jamais de manière censée. Artie quant à elle, qui au cours de sa vie avait accumulée une longue expérience des hommes, était à peu près certaine d'une chose : ils n'avaient pas été pensé pour se déplacer à quatre pattes.

Couchés, l'un à côté de l'autre dans la grande Galerie sur un tapis molletonné que les femmes de chambres avaient confectionné pour eux, ils observaient le curieux manège de lady Blake.

Cassandre armée d'une brosse en chiendent, récurait le marbre de la pièce. C'est ici, que certains serviteurs prétendaient avoir entendu jouer de la musique le 23 juin, et cela plusieurs années d'affilées.

– Que le 23 juin ! Quel dommage, nous aurions pu nettoyer cette pièce au rythme des violons, avait ironisé lady Blake quand certains valets avaient parlé de ces événements comme s'il s'agissait d'une excuse pour ne pas s'y rendre.

Caroline, Mary et Chloé, trois jeunes femmes de chambre, plus courageuses que leurs collègues, s'étaient portées volontaires, avec moult gloussements moqueurs certes mais aussi avec un enthousiasme qui leur vaudrait une prime décida la châtelaine.

Lorsque Cassandre enfila un tablier, elles ne furent même pas surprises qu'elle se joigne à elles. Cela devait être une tradition française certainement !

Toute ma maisonnée s'était vite rendu compte que si Cassandre leur menait la vie dure, elle s'infligeait le même traitement, sinon pire. Et si, lorsque le travail avait été mal réalisé, elle ne se gênait pas pour en faire la remarque, elle n'était jamais avare de compliments lorsqu'elle était satisfaite.

De plus quand elle s'apercevait qu'un serviteur était fatigué ou souffrant, elle s'en inquiétait immédiatement et n'hésitait pas une seconde à faire venir à ses frais le Dr Filton au château. Ainsi, les employés s'aperçurent vite de leur chance et lady Blake monta rapidement dans leur estime, tant et si bien qu'elle ne remarqua plus aucun signe d'insolence parmi le personnel à son égard. Au plus grand soulagement de ses nerfs toujours mis à vif par la fatigue, conséquence du manque de sommeil permanent qui était devenu son lot quotidien.

Le sol de la galerie était composé d'un damier et d'une fine rosace, mais était recouvert d'une telle couche de crasse, qu'on ne faisait que deviner difficilement le motif. Des litres d'eau savonneuse, de vinaigre et d'huile de coude lui rendaient peu à peu sa beauté d'antan, elle découvrit aussi que le marbre était constellé du chiffre des Blake entrelacé de serpents. Ces exquis ornements de bronze, une fois briqués, brillaient d'un éclat doré qui répandaient des étincelles de lumière sur les cloisons lambrissées.

Les quatre jeunes femmes entrevoyaient après plusieurs heures la fin de leur exploit herculéen, quand, alors qu'elle brossait un peu trop près du mur, Cassandre lui donna un violent coup de brosse qui perfora une boiserie vermoulue qui n'avait pas encore été arrachée comme elle l'avait demandé. Il faut dire que la grande Galerie n'était pas forcément une priorité à la différence des chambres par exemple.

Derrière le trou béant, elle crut apercevoir quelque chose qui l'intrigua. Elle tira donc sur le morceau brisé si violemment qu'elle en tomba à la renverse. Artie accourut, inquiète. Hadès aussi, mais persuadé qu'il s'agissait là d'un nouveau jeu auquel il pourrait peut-être participer. Les trois jeunes servantes qui n'avaient pas vu le début de l'action sursautèrent en regardant de droite à gauche, persuadées de voir le fantôme qui avait fait tomber la jeune dame secouer ses chaînes en maudissant lady Blake.

Elle les ignora tous, elle avait réussi à arracher toute une planche. Elle recommença avec celle d'à côté.

Finalement, elle appela tous les employés disponibles. Elle n'avait que faire de leurs peurs superstitieuses leur dit-elle et plus nombreux ils seraient plus vite le travail serait terminé.

En quelques heures tous les murs furent découverts, offrant à la lumière du jour un spectacle magnifique et étonnant : des fresques qui rappelaient à Cassandre certaines peintures italiennes de la Renaissance dont elle avait vu des gravures.

– Voir ça ici, comme c'est surprenant, déclara-t-elle aux employés qui évacuaient les cadavres de boiseries sous les regards navrés de Caroline, Mary et Chloé qui avaient vu leur si dur labeur saccagé par une armée de chaussures boueuses.

– Il faudra tout recommencé demain, soupira Mary.

– Le plus dur est fait, voyons ! La rassura Cassandre. À nous quatre ce sera l'histoire d'une heure seulement.

Cela ne leur rendit pas le sourire, mais la promesse d'un jour de congé supplémentaire en fin de semaine, oui. Elles s'en allèrent en sautillant gaiement et savourant d'avance ce jour de liberté.

Cassandre se retrouva seule avec ses chiens, libre de détailler les fresques.

Quand les loups se mangent entre euxDär berättelser lever. Upptäck nu