Chapitre 52 (Partie 2)

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– Mrs Stampton, Mr Baker ! Quelle surprise de vous voir si tôt ! C'est un véritable plaisir ! S'exclama Lady Blake en entrant. Si le mensonge vous promettait l'enfer, elle y aurait une place bien au chaud.

– N'est-ce pas ? Répondit la veuve qui à cette heure ressemblait à un gros kaki blet dans sa robe de cotonnade indienne orange. Certaines personnes devraient porter le deuil de leurs proches toute leur vie finalement, du moins si cela pouvait éviter aux autres de perdre la vue devant un spectacle aussi criard.

– Rien ne vaut une visite matinale. Cela vous permet de commencer la journée du bon pied, surtout si ladite visite émane de véritables amis.

Cassandre était heureuse de ne pas être en train de boire ou de manger quelque chose, car elle aurait été capable de lui cracher à la figure d'ahurissement. Elle était à peu près certaine de savoir qui en enfer serait sa voisine de banc.

De véritables amis. C'est à peine si elle se souvenait du nom de l'agent des postes.

Mrs Stampton, engoncée dans son abominable robe dont on entendait les coutures craquer à chacun de ses mouvements affichait un air de chat venant de découvrir un oiseau blessé et ce n'était pas beau à voir.

– Ma chère, nous sommes si inquiets pour vous, affirma-t-elle la main sur le cœur.

– Il n'y a pourtant aucune raison. Comme vous le constatez de vos propres yeux, je vais parfaitement bien.

– Je vous ai pourtant vue bouleversée alors que vous galopiez hier. Vos cheveux étaient défaits et votre mise... Seigneur ! J'ai cru que vous aviez subi l'attaque de quelques bohémiens.

Les anglais avaient visiblement un problème avec les gens du voyage.

– Une chute dans les buissons, c'est tout ! Mon cheval a été effrayé par un animal sauvage semblerait-il. Merci de vous en inquiéter.

– Vous êtes si bonne cavalière, vous n'avez pu être désarçonnée que parce que vous étiez en proie à une grande confusion. Votre trouble a peut-être à voir avec votre terrible solitude.

– Ma solitude ? Je n'ai pourtant pas le sentiment d'être seule dans ce château. Comme vous avez pu le constater, il grouille de vie.

– Oh voyons Milady ! Je ne parle pas de la compagnie des domestiques ou même d'un charmant beau-père. Vous êtes une jeune mariée et cela fait des semaines que vous êtes sans nouvelle de votre époux !

Cette femme et son impertinence étaient une source incessante d'effarement.

– Et sur la base de quelles suppositions vous êtes-vous dit que mon mari et moi même ne communiquions plus l'un avec l'autre ?

– Et bien Mr Baker ici présent est en première ligne lorsqu'il s'agit de savoir qui reçoit des nouvelles et...

– Et Mr Baker n'est-il pas astreint à un certain devoir de discrétion vis-à-vis de ces choses ? N'y-a-t-il pas des règles qu'il ne doit pas transgresser sous peine de renvoi ?

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– Et Mr Baker n'est-il pas astreint à un certain devoir de discrétion vis-à-vis de ces choses ? N'y-a-t-il pas des règles qu'il ne doit pas transgresser sous peine de renvoi ?

– Absolument ! Mais, comme je vous l'ai dit, nous sommes entre amis, et il n'y a pas de secret entre amis.

Si seulement cette femme pouvait faire partie de cette organisation des hommes en noirs. Comme elle adorerait avoir une excuse suffisante pour la faire dévorer par ces chiens. Elle regrettait la bonne vieille époque où les seigneurs avaient droit de vie ou de mort sur leurs terres.

– Bien que cela puisse vous paraître effronté de notre part, nous sommes venus vous apporter notre soutien Milady.

Cassandre s'apprêtait à lui décocher une remarque bien sentie sur ce qu'elle pensait des fouineuses dans son genre et la jeter par la fenêtre suivant ainsi la tradition familiale, mais Christine entra dans le salon les bras chargés d'un plateau.

Quelle idée avait-elle eu de commander du thé ! À part pour le jeter bouillant à la figure de cette impudente rombière, il ne lui serait d'aucune utilité. Elle serra néanmoins les dents et dans un souci d'apaisement et de paix envers le voisinage compta jusqu'à dix et offrit son sourire le plus éblouissant à Mrs Stampton et à...

Un instant... mais où s'était volatilisé cette anguille de Baker, se demanda Cassandre en fouillant des yeux la pièce. Comment avait-il fait pour s'éclipser sans même qu'elle ne le remarque ?

– Un besoin naturel je pense, expliqua la veuve. Les hommes sont si délicats de ce point de vue-là. Mon cher époux lui-même...

Cassandre n'en revenait pas. La situation devenait de plus en plus abracadabrantesque à chaque seconde. Il était à peine dix heures du matin et cette vieille bique était en train de lui parler de la vessie de son capitaine de mari, qui avait eu excellente idée de décéder plus de quinze ans auparavant.

Artie s'agita, elle ne se sentait guère obligée d'en supporter davantage. La petite chienne se précipita alors vers la porte et se fit un devoir de gratter les boiseries fraîchement repeintes arrachant à sa maîtresse un frisson d'appréhension. Elle aurait mieux fait de rester au lit. Son instinct ne l'avait pas trompé.

– Mais qu'a donc cet animal ? S'écria la jacasseuse en chef, crachant à travers la pièce des éclats de biscuits dont elle venait de terminer l'assiette qui accompagnait le thé.

– Il faut croire que les chiens sont comme les hommes. À la merci de leurs besoins naturels.

– Je vais en votre sens très chère ! Cette bête aurait-elle grandit dernièrement ? J'en ai l'impression.

– Pardon ?

– Votre chien. Elle dépasse votre genou à présent, mais je suis persuadée qu'elle était plus petite à votre arrivée en Angleterre. Je m'en souviens bien. Je vous ai vu circuler avec elle et cette affreuse créature toute aussi rousse qu'elle. C'est la couleur de Judas, je vous le dis.

Était-elle en train de parler de Gaëlle ? Affreuse ? Judas ? Tant pis pour le bon voisinage, elle allait lui arracher la langue, pour qui se prenait-elle pour médire sur son amie ?

La chienne grattait toujours la porte menaçant d'y faire des dégâts qui nécessiteraient une nouvelle couche de peinture. Lady Blake se leva doucement.

– Cette bête a grandi, j'en suis certaine.

– Elle est jeune, il faut croire qu'elle n'a pas terminé sa croissance.

Si la vieille femme n'avait pas été aussi obnubilée par le propre son de sa voix, elle se serait certainement rendue compte du danger qui la guettait. Cassandre elle-même n'était pas encore tout à fait certaine du sort qu'elle lui réservait. Les possibilités allaient de la simple gifle à l'emprisonnement sans espoir de revoir un jour la lumière du soleil dans les oubliettes du château.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant