Chapitre 27

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Les journées de Cassandre étaient particulièrement chargées depuis que les autres étaient partis. Elle qui avait espéré avoir un peu de temps rien qu'à elle, pour partir sur le dos de son cheval visiter la campagne environnante, pour faire le tri dans ses sentiments et les émotions qu'elle ressentait ! Il semblait clair qu'elle devrait repousser sa remise en question aux calanques grecques, elle n'avait pas le temps d'avoir des états d'âme, elle ne cessait de courir de droite à gauche et malgré son endurance naturelle, elle commençait à trouver ce château beaucoup trop grand pour sa santé. Elle venait de remonter les bretelles des jardiniers qui renâclaient à couper un buisson d'épineux et à présent filait voir où en étaient les travaux de la chambre du comte qui n'appréciait vraiment pas de dormir dans l'immense lit de son fils.


Il lui avait déclaré la veille :

– J'ai l'impression de me reposer au milieu d'un champ. Il a hérité de mon père, il était presque aussi grand, mais taillé comme un cure-dent. C'est une montagne mon petit ! Dit-il en se grattant la joue, visiblement ému et fier, il se reprit bien vite. Et le matelas est une vraie planche, ajouta-t-il, pas étonnant qu'il refuse de rester ici.

– Vous lui cherchez des excuses. Papa disait toujours qu'un grabat infesté de puces affermissait le caractère.

– Votre père disait aussi que les oignons guérissaient de la rage.

– Je n'ai jamais dit qu'il avait la science infuse. Si ça se trouve il parlait d'oignons d'une plante en particulier. Ou alors il se moquait de nous.

Elle souriait en pensant aux blagues de son père tout en montant les escaliers un pied devant l'autre, une marche à la fois, mais pourquoi avait-elle l'impression d'avoir des chaussures de plomb ?

Brusquement, elles ne pesèrent plus rien, elle non plus d'ailleurs, et durant un instant elle ne comprit pas ce qui se passait. Artie se mit à aboyer et à grogner furieusement.

Alertés par le vacarme digne des oiseaux du lac de Stymphale que produisait la petite chienne, Christine, la jeune femme de chambre et Ronald, le majordome, accoururent dans le hall. Ils trouvèrent Cassandre, étendue de tout son long, ce qui ne faisait tout de même pas grand-chose, fixant le plafond, les sourcils froncés.

– Milady, que s'est-il passé ? Demanda Ronald paniqué. Êtes-vous blessée ?

– J'ai dû tomber. Je ne sais pas comment j'ai fait mon affaire. Elle se redressa péniblement.

– Nous devrions appeler un médecin lady Blake, déclara Christine en faisant mine de la maintenir au sol.

– Je vais bien. J'ai dû marcher sur le revers de ma robe, voilà tout, elle est un peu trop longue pour moi.

Artie fixait en grognant le haut de l'escalier.

***

Les tapis furent sortis et battus, ils retrouvèrent une partie de leurs couleurs d'antan. On fit le tri des meubles qu'on pouvait conserver et ceux qui étaient perdus.

La mode du moment était plutôt aux intérieurs sombres, mais si cela était valable dans les maisons bénéficiant de grandes baies vitrées, Cassandre décida que Churbedley et ses fenêtres à meneaux étaient faits pour des couleurs claires et fraîches. Elle choisit une soierie bleu ciel décorée d'oiseaux et de branchages qu'elle avait trouvée dans les remises pour les rideaux et les tentures de la chambre du comte et comme promis après une semaine, il put retrouver ses petites habitudes.

La pièce sentait bon la peinture fraîche et l'encaustique. Cassandre y avait installé des fauteuils de cuir moelleux qu'elle avait réussi à se procurer chez les Oxcross. Mais elle avait dû se rendre à l'évidence, à part ce genre de petites pièces fonctionnelles mais guère élégantes, elle ne pourrait pas trouver son bonheur à Cattown. Peut-être aurait-elle plus de chance en se rendant à Gloucester, mais elle ne pouvait pas imposer à Jordan un voyage alors qu'il se remettait à peine de son dernier périple. Et même si elle ne l'avouerait jamais, l'idée de se rendre seule dans une ville inconnue intimidait la fille de la campagne qu'elle était.

– Vous pourrez lire ici en paix, tant que les autres pièces ne seront pas terminées, beau-papa.

– Pardon ma petite, pendant un moment j'ai douté de vous.

– Vous aviez visiblement tort dit-elle en relevant fièrement la tête. Mon souci, c'est le manque de mobilier. J'ai trouvé de petites merveilles dans les réserves, mais je ne crois pas que cela suffira à remplacer ce qui était hors d'âge. Même si Monsieur Hawkins est très habile pour ce qui est du travail du bois ! Il a su sauver une ravissante paire de chaises notamment.

– Notre jeune régisseur ?

– Votre fils à régler tous les soucis qui auraient pu surgir pour les six mois à venir il semblerait. Et ce jeune homme déteste être désœuvré. Je crois aussi que cela lui donne une excuse pour apercevoir Christine de temps à autre.

–Tiens donc ! Il a bon goût. C'est qu'elle n'est pas vilaine cette petite avec sa langue trop bien pendue.

– Avec ? Pas malgré ?

– Il est chanceux celui qui peut vivre avec ce genre de femme. Elle vous apporte de la vie et de la joie.

Cassandre le dévisagea avec une certaine curiosité. Elle sentait que ces mots en cachaient d'autres. Et jamais Jordan n'avait pu cacher quoique ce soit à cette étrange petite créature quand elle posait sur lui ses grands yeux bleus. C'était l'une des raisons pour laquelle il avait toujours pensé qu'elle ferait une épouse parfaite pour son fils, personne n'aurait pu lui résister avait-il pensé même pas une tête de mule comme son rejeton. Mais chaque jour que Joshua passait loin d'elle lui prouvait le contraire. Avait-il commis une erreur ? Il ne voulait plus y penser alors il parla.

– Il y a eu une jeune fille en Italie. Dieu que je l'ai aimé.

– Étiez-vous déjà marié ?

– Pas encore, je n'avais pas rencontré Noémie à cette époque. Dans mon esprit rien n'aurait pu nous séparer Maria-Lisa et moi, j'aurai tout fait pour elle, même me convertir au catholicisme car elle était issue d'une famille très pieuse. Mais ce ne fut pas suffisant.

– On vous a refusé sa main ?

– Pire. La mort l'a prise, j'ai bien failli la suivre. Je l'aurais fait sans votre père. Je lui ai dû pour une seconde fois la vie. Et j'ai eu du bonheur par la suite. Mais plus jamais un amour pur comme celui que j'avais pour Maria-Lisa.

– Alors pourquoi empêcher Joshua d'épouser cette femme dont il est amoureux ?

– Parce qu'il ne l'est pas. Je ne vois pas l'amour en lui, je ne vois pas l'étincelle dans ses yeux. Celle de la stupidité, oui. De l'orgueil, sûrement. De l'obstination aveugle, à coup sûr. Il enfouit la main dans les cheveux, le même geste que faisait constamment Joshua. Il y a trois sortes de père, continua-t-il, les mauvais, qui ne donnent rien à leurs enfants. Les bons qui leurs offrent ce qu'ils veulent et les meilleurs qui leur donnent ce dont ils ont besoin, dit-il en se frappant la poitrine.

– Je dirais qu'il en existe un quatrième type. Les excellents, qui élèvent leurs enfants de telle façon, qu'ils savent d'eux-mêmes ce qu'il leur faut et sont capable de l'obtenir.

– C'est vrai, mais je ne suis pas si parfait, dit-il en riant.

– Personne ne l'est, je le crains.

– Pas même votre père ?

– Surtout pas lui, s'exclama-t-elle en riant.

Quand les loups se mangent entre euxWhere stories live. Discover now