Chapitre 38 - Le commissaire Hector Devereux

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L'arrivée de Gaëlle à Theobald's road avait changé les habitudes d'Aidan, même si depuis quelques jours elle ne lui adressait plus la parole. Malgré tout, grâce à son aide, il n'était plus obligé de lire la totalité de son courrier. Il trouvait ses pochettes de classement recouvertes à présent de dessins beaucoup moins bucoliques qu'au début, les fleurs et les petits lapins commençaient à lui manquer. Il était presque certain que cet homme pendu à ce vieux chêne, par ailleurs parfaitement exécuté, avait un certain air de ressemblance avec lui. Les cheveux sans doute car il lui était difficile de se reconnaître dans ce visage congestionné à la langue pendante. Gaëlle devrait penser à faire carrière dans le dessin de presse, elle pourrait croquer les faits divers sanglants pour les gazettes. Et elle apaiserait sa soif de macabre en pensant à quelqu'un d'autre qu'à lui soupira-t-il en tirant sur le nœud de sa cravate qui lui serrait trop la gorge tout à coup.

Il avait arrêté de passer ses soirées en ville et avait chargé ses secrétaires et ses assistants de s'occuper des affaires courantes depuis ses bureaux de la City où il ne mettait que très rarement les pieds dernièrement. Il avait donc plus de temps pour ces investigations sur les assassins de sa fiancée.

Ce qui était une bonne chose, car comme il l'avait dit à Gaëlle quelques jours plus tôt, les choses semblaient sérieusement s'accélérer. Ce matin même, il venait de recevoir le compte rendu complet d'une attaque en Saxe. Une famille de paysans retrouvée morte, les corps entièrement desséchés, à l'exception du plus jeune fils, pour sa part, disparu corps et biens.

Herr Herbert, son mandaté en Prusse, s'était déplacé jusqu'au lieu du crime et avec sa rigueur coutumière, lui avait envoyé dans un temps record la liste de tous les clients s'étant reposés dans un hôtel et cela dans un rayon d'une journée à cheval de la ferme. Il avait beaucoup plu ces dernières semaines, ce qui excluait que les hommes en noirs aient dormi à la belle étoile semblerait-il. Herbert ajoutait que si on pouvait les croire, aucun étranger au pays n'avait trouvé refuge pour la nuit chez un des rares habitants de la région.

Comme l'avait suggéré Cassandre et Joshua, Aidan compara les listes de voyageurs qu'il avait faites des autres lieux de massacres. Il y en avait tant qu'un homme moins déterminé aurait sans doute baissé les bras. Mais un homme moins déterminé n'aurait pas entrepris cette quête il y a cinq ans. Le nom d'Alecto sur la liste saxonne lui parut étrange, mais il n'apparaissait nulle part ailleurs.

Il lisait et relisait chacun de ses inventaires en espérant que la lumière se fasse dans son esprit.

Il fut stoppé dans ses intenses réflexions alors que plusieurs heures étaient passées. Il s'étira et fit craquer sa nuque. Il avait l'impression que ses épaules s'étaient pétrifiées. Cette pause était la bienvenue. Il avait besoin de prendre un peu de recul.

Il avait d'abord cru qu'il devait cette interruption à Daniels qui venait lui faire lire ou signer quelques documents, mais Komang lui annonça le lieutenant Vladimir Costa.

Voilà qui était surprenant.

Il le fit patienter quelques instants, le temps de ranger les documents qu'il ne voulait pas que l'officier de police puisse voir.

– Entrez !

L'homme en uniforme sombre passa la porte, le chapeau melon dans la main. Il prit le siège qu'Aidan lui indiquait.

– Je ne m'attendais guère à recevoir votre visite fit remarquer Brogan après les politesses d'usage. Vous êtes certain que ce n'est pas lord Blake que vous vouliez rencontrer ?

– Je ne pense pas être bien reçu par votre ami. Il est plutôt...

– Soupe au lait.

– Je n'aurais peut-être pas utilisé ce terme, dit-il en réprimant un frisson.

– Le commissaire Gate aurait à s'inquiéter mais en venant seul vous vous en tireriez avec une volée de bois vert et quelques menaces. Pas de quoi intimider le commissaire Hector Devereux. Ai-je tort ?

En riant le commissaire démasqué caressa sa moustache cirée.

– Vous êtes vraiment un malin Mister Brogan. Vous avez l'œil, je me doutais que vous vous souveniez de ma véritable identité et que vous aviez passé le mot. Je trouvais lady Blake trop merveilleuse pour être vraie.

– Lieutenant, je crois qu'elle l'est encore plus que vous ne pouvez l'imaginer. Mais vous n'êtes pas là pour me parler des qualités de lady Blake, quoique cela expliquerait votre peur de son époux.

– J'ai été intrigué par votre proximité avec les d'Arlon, votre amitié avec lord Blake est connue mais... je n'avais pas réalisé à quel point vous étiez... enchevêtré dans des histoires qui ne vous concernent pas réellement.

– Qu'est-ce qui vous fait dire que je ne suis pas concerné ?

– Cartes sur table ?

Aidan hocha la tête.

– Je sais que vous enquêtez sur certaines affaires. Des affaires comme l'assassinat de la baronne et du baron d'Arlon, comme celui de la famille de la jeune Jane Duvall, votre fiancée si je ne me trompe, ainsi que d'autres cas de par le monde.

– Et vous voudriez que je cesse mes investigations ?

– Bien sûr que non ! s'exclama-t-il en riant. M'écouteriez-vous ?

– Je ne pense pas. Un silence s'installa, il n'était pas particulièrement pesant mais Aidan se décida à le rompre. Je peux vous proposer un verre ?

L'irlandais se leva et ouvrit un coffre en moucharabié de cèdre. Une odeur entêtante et capiteuse se répandit dans la pièce.

– Volontiers.

– Whiskey ? Tullamore Dew, Le meilleur du monde selon moi.

– Je croyais que le meilleur des whiskys était écossais.

– Ne me parlez pas de ses plagiaires ! Vous voulez vraiment avoir des problèmes vous ! Il sourit en lui tendant l'alcool ambré.

Après avoir pris le temps de le savourer, Devereux reprit :

– Vous êtes un homme riche Mister Brogan. Vous voulez mener vos investigations de votre côté ? Cela me convient. Vous avez des moyens que nous ne possédons pas. Mais pour ma part, il se trouve que j'en ai dont vous ne disposez pas.

– Cela explique-t-il votre visite ?

– On peut dire cela. Je suis venu de manière absolument non officielle, mais je tenais à vous signaler que vous devriez faire attention au courrier que vous envoyez. Surtout aux Blake.

– Que voulez-vous dire ?

– Qu'il se pourrait que les lettres passant par des canaux classiques soient espionnées et que de ce fait, la sécurité du comte Bronson, de sa belle-fille et en Crimée, du jeune baron d'Arlon ne soit compromise.

– Qui est derrière cela ?

– Je ne suis qu'un petit fonctionnaire, je ne sais pas tout mais je ne peux que vous inviter à faire attention. On ne prend jamais trop de précautions.

Le commissaire Hector Devereux, se leva, réajusta son uniforme noir et tendit la main à Brogan.

– Merci pour le verre. Il n'est pas mauvais ce whiskey.

Aidan lui serra la main.

– Je ne suis pas certain de comprendre pourquoi vous m'avez rendu visite.

– Qu'y a-t-il à comprendre ? Vous cherchez des assassins, il se trouve que moi aussi. Bonne soirée Mister Brogan et soyez prudent.

Il attrapa son chapeau melon et quitta le 18 Theobald's Road sans un mot de plus.

Quand les loups se mangent entre euxWhere stories live. Discover now