Chapitre 61 (Partie 1)

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Joshua ne voulait pas perdre une seconde. Il était monté dans sa chambre et avait glissé à son cou un chapelet que sa mère tenait de sa mère, qui le tenait de son père, qui le tenait de dieu sait qui. Il l'avait caché, il y a des années dans le double fond du coffret où il disposait ses boutons de manchettes. Avec lui, il y avait une dizaine de grigris en tout genre qu'il avait tenté d'oublier, ainsi que des figurines qu'il avait fabriquées avec sa mère alors que son père voyageait. Parmi eux, il vit le petit cheval aux yeux bleus dont le tronc était une plaque de cuivre très fine gravée et enroulée autour d'un bâton, c'est sa sœur Adriana qui avait fait de petites tresses de paille pour qu'il ait une crinière et qui les avait collées sur la petite tête de bois. Il se souvenait de cet après-midi d'été où après avoir rendu visite à Mrs Jenkins, et dévorer une de ces fameuses tartes, Noémie les avait pris sur ses genoux et leur avait conté des histoires fascinantes et étranges. Puis elle leur avait montré comment faire ce qui à leurs yeux d'enfants semblait être le plus amusant des jouets.

– Mwen renmen nou anpil anpil ! Je vous aime tellement, leur avait-elle dit en créole.

C'était une certitude. Il n'avait eu aucun doute à ce moment-là. Leur père pouvait les abandonner parce qu'il avait mieux à faire que s'occuper d'eux, mais leur maman serait toujours là.

Ils avaient vécu le plus beau des moments ensemble, rien ne serait jamais plus merveilleux. C'était juste avant que tout ne s'écroule.

Il prit le petit cheval et le mit dans sa poche, il aurait sans doute besoin de toutes les protections possibles fussent-elles symboliques, cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas lâché les rênes.

Une fois quitté Blake House, il héla un fiacre et lui indiqua l'adresse de Margaret, il posa la main sur sa poitrine sentant au travers de chemise le contact du métal grossier qui s'enfonçait dans sa chair, comme si la souffrance était le prix à payer pour la protection des lwas. Tout avait un prix lui avait dit Noémie.

Cela faisait bien longtemps qu'il avait ignoré les dieux de sa mère, et autant de temps qu'il avait détourné ses pensées des morts et des dons qu'il tenait de son père. Mais aujourd'hui, il savait qu'il ne pourrait plus s'y soustraire.

Plus tôt, alors que Cassandre dormait au creux de ses bras dans le train qui rejoignait Londres, il avait vu dans son sac de voyage ouvert, plusieurs carnets noirs. Il en avait pris un, se doutant de ce qu'il contenait même s'il avait espéré qu'il s'agissait du journal intime de sa femme où elle avouait à longueur de page sa passion grandissante pour lui et ses fantasmes les plus intimes qu'il comptait bien l'aider à assouvir dans les plus brefs délais.

Au temps pour les fantasmes, c'était bien la copie du grimoire des Blake.

Il avait lu attentivement les mots, qui lui rappelaient de longues heures, pas forcément désagréables, où son père entre deux échappées belles lui faisait apprendre chaque page et lui parlait des responsabilités, des secrets de la famille. Il n'avait rien oublié.

Ignorer ses conseils avait coûté la vie à sa mère, la paix à de nombreux défunts, et Cassandre...

Son cœur se serra. Il ne voulait pas la perdre alors qu'il commençait à peine à la découvrir.

Il revint au présent, autour de lui la ville défilait, sans le regard étonné de son épouse, elle perdait singulièrement de son attrait, mais il ne détourna pas les yeux. Il observa tout, nota tout et il sentit dans les tréfonds de son âme le mouvement de Londres.

À quoi était-ce dû ? À l'avancée inéluctable de l'humanité vers un progrès qui recouvrait le monde d'une fine couche de poussière de charbon ? Ou à des forces plus obscures dont les griffes se plantaient dans la ville comme dans une carcasse pourrissante afin de se repaître de ses sucs vitaux.

Le cocher s'arrêta devant chez Margaret, Joshua régla la course et en essayant de prendre l'attitude la plus détendue possible, gravit les quelques marches qui le séparaient du changement.

***

Joshua se délassait dans un bon bain chaud à Blake House. Cela lui avait pris beaucoup plus de temps qu'il ne l'avait escompté, mais il était sorti de cette longue journée avec le sentiment qu'une bonne chose était faite.

Demain serait un nouveau jour. Et comme Aidan lui avait dit une heure plus tôt, ils allaient avoir du pain sur la planche.

La tête rejetée en arrière, il relâchait des tensions dans des muscles et sombrait dans un demi sommeil.

Mais une force l'enfonça brusquement dans l'eau, l'arrachant à sa sieste.

Estelle ?

Il avait complètement oublié le fantôme de la maison.

Elle essayait encore de le noyer ? Pas aujourd'hui !

En se débattant sa main rencontra un poignet. Un poignet solide, vivant, recouvert de... bandages.

Il le saisit et le repoussa de sa poitrine. Il se redressa dans la cuve en crachant le litre d'eau qu'il venait d'avaler. Et fit face à Cassandre, écarlate, les yeux flamboyants comme des escarboucles.

– Espèce de bâtard ! Raclure de latrines ! Pourriture de...

– Mais fermez-la ! Brailla-t-il pour faire cesser le flot d'insulte.

– Je ne vais pas...

– Est-ce que vous venez d'essayer de me tuer ? Demanda-t-il en la secouant comme un prunier.

– Je devrais vous arracher le cœur et le dévorer encore fumant sur votre grande carcasse et je donnerai vos bijoux de famille...

– Stop ! Qu'ai-je fait pour que vous vouliez m'infliger ce sort peu enviable ?

– Je sens SON odeur sur vous. Et elle pue la vieille charogne !

Elle se redressa. Sa fureur était retombée d'un coup, comme un pauvre soufflet. Tout ce qu'il lui restait, c'était de la déception et le sentiment d'avoir été trahie. Elle voulait partir, aller se cacher sous son lit et pleurer toutes les larmes de son corps d'avoir été assez naïve pour croire que son mari commençait à avoir des sentiments et de la considération pour elle, mais il la retenait captive, sa main sur son bras était un étau. Les hommes étaient tous les même finalement, justes bons à faire du mal.

Il la regardait, un sourire flottant sur ses lèvres, il se moquait d'elle l'enflure ! Pour le principe elle lui colla une gifle avec sa main libre. Elle arrivait à peine à réfléchir tant elle le trouvait beau et tant elle voulait le haïr.

– Vous êtes jalouse ? Demanda-t-il en se frottant la joue.

– Oui ! Répondit-elle simplement. Elle mourrait de jalousie, à quoi bon le nier.

Pendant les premières heures après qu'il ait quitté la maison, elle avait espéré qu'il avait eu des affaires à régler. Peut-être était-il allé voir un ami ? Mais le temps passant, elle avait dû se rendre à l'évidence, il était avec ELLE. Et là, aux dernières heures de la nuit, il prenait un bain pour se débarrasser de la puanteur du vice.

– Je suis allé voir Margaret.

Il ne niait même pas. Elle tenta de se libérer de sa poigne de fer, tout ce qu'elle allait réussir à faire, c'est à rouvrir ses plaies. Un sanglot d'impuissance lui échappa, finalement, elle se laissa tomber au sol, il ne perdait rien pour attendre.

– C'est fini. Je ne la verrai plus. Est-ce que je peux vous raconter ? Il faut que vous sachiez certaines choses. Ensuite vous déciderez si vous voulez toujours m'arracher le cœur et tutti quanti. 

Quand les loups se mangent entre euxWhere stories live. Discover now